Chronique : Le terrorisme ? Parlons-en pour de bon

Par Mansour Mhenni

Il y a des moments où je me demande si, devant le malheur, On ne ferait pas mieux de se conformer à la sagesse de Vigny : « Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse ». Cela est d’autant plus vrai que nombreux sont ceux qui, devant le spectacle horrible de la mort absurde, se croient en devoir d’inonder de leur salive les plateaux médiatiques et de blesser les oreilles sensées de leur cacophonie tonitruante.

Je m’excuse si, dans ces propos, il y a quelque dépit qui peut ressembler à de l’irrespect ; je n’en aurais pas usé si j’avais saisi dans les propos de ces clients attitrés des médias, pourtant personnages « illustres » de mon pays, assez de respect pour leurs concitoyens. Je ne parle pas de ceux qui, pour une raison ou pour une autre, mais toutes politiques, nous sortent des programmes rationnellement peu adaptés aux conditions objectives de notre pays et aux exigences que le contexte international semble imposer à sa dynamique de développement. En effet, cela relève de la liberté d’expression, telle que garantie et souhaitable dans une société civile, bien que par trop souvent forcée dans le sens de la politique politicienne, au détriment même d’une conversation démocratiquement partagée pour la meilleure conception de notre avenir partagé.
Je parle donc de ceux qui, à propos de terrorisme, nous sortent des théories on ne peut plus terroristes que les actes violents dont la tombée subite sur le tissu social ne cache guère son infiltration pernicieuse, dans différents lieux, par de menues pratiques et par des discours trompeurs qui camouflent assez la percée envahissante de leur violence caractérisée.
De ce point de vue, je me demande s’il est utile de faire de grands tapages sur les profils et les portraits des terroristes neutralisés, sous prétexte de mieux comprendre le mécanisme qui les a conduits à leurs actes bannissables. Une telle analyse et son étude ne gagneraient-elles pas à rester dans les cercles des compétences appelées à en raisonner les effets et les causes ? Mais à trop médiatiser ces « personnages », jusqu’à en faire presque des héros de films de terreurs, n’encouragerait-on pas d’autres gens en quête de célébrité à trouver dans le terrorisme le meilleur moyen de la gagner ?
Arrêtons de tout mettre sur la pauvreté, faisons des statistiques scientifiques et objectives, nous découvririons peut-être que de nombreux jeunes qui vont en Syrie, en Libye, en Irak et qui optent pour le terrorisme, ont en fait d’autres motivations plus psychologiques et même ontologiques.
Arrêtons également de tout mettre sur le dos de Ben Ali, et même de Bourguiba, pour nous voiler les yeux sur l’essentiel. N’est-ce pas révoltant parfois de voir, sur les plateaux de télévision et ailleurs, les acteurs attestés de violentes opérations terroristes commises par le passé, inculquer la responsabilité de leurs actes à Ben Ali ? Avaient-ils besoin d’exploser des hôtels, des lieux publics ou privés, de tuer des innocents pour exprimer leur opposition au pouvoir ? En continuant à défendre cette thèse, ils ne font que justifier, de façon détournée, le terrorisme actuel, comme l’acte du Bardo.Il y a dans tout cela un état d’esprit de la violence qui est de l’ordre de la maladie. Nous voulons bien croire que cela se soigne et nous le pensons vraiment, encore faut-il en avoir la preuve, comme pour toute maladie. De ce fait, il faut continuer de croire à la compétence d’évolution et de changement de l’être humain. On ne le voit que trop à constater les va-et-vient politiques de certaines gens, ce qui n’est sans doute pas négatif quand ce n’est pas hypocrite et opportuniste.
Dans cette perspective, contre tous ceux qui défendent la thèse selon laquelle les islamistes ne peuvent jamais migrer dans le sens de la civilité de la société, nous voudrions continuer d’espérer une telle migration de nos concitoyens, au-delà de tout dogmatisme camouflé et de tout opportunisme calculé. Pour ce faire et dans le sens d’une confiance et d’une convergence partagées entre les différentes tendances politiques de civilité patriotique et humaniste, il conviendrait aux uns et aux autres de donner des preuves tangibles de leur nouvel engagement dans le projet civilisationnel tunisien. Il serait bon aussi que ceux dont le passé est marqué par une quelconque violence caractérisée affirment publiquement leur dépassement de cette façon d’être et de voir et leur engagement sincère au sein de la société pour lutter contre toute violence et tout dogmatisme extrémiste.
A la limite, que ces anciens ingénieurs de bombes artisanales, fabriquées pour un certain terrorisme évident, quelle que soit la couverture qu’on veuille bien lui donner, et ces manipulateurs d’armements plus sophistiqués avec intention de liquidation complotée, que tous se reconnaissent dans leurs droits actuels de devenir de nouveaux défenseurs politiques et civils, et non armés, des libertés citoyennes et se démarquent nettement du mode de pensée ayant présidé à leurs pratiques anciennes.
Ainsi seulement, la société tunisienne pourra se vanter d’avoir accédé à la seule résolution civile des conflits, dans une cohérence politique rassembleuse ayant pour nom « la démocratie ». Ainsi seulement, cette société sera retenue comme un modèle exemplaire de transition démocratique pacifique et de convergence éthique pour la lutte contre la violence, d’abord celle du terrorisme.