Chronique : Les pays du Golfe, dans l'engrenage yéménite
Pr. Khalifa Chater
Le Conseil de Coopération du Golfe (CCG) vit l'épreuve de la guerre civile au Yémen. Il a été fondé en 1981, par les monarchies sunnites du Golfe, inquiétées par l'onde de choc de la révolution islamique, en Iran, en 1979. Il s'inscrit désormais dans la bipolarité chiite/sunnite, qui confirme l'opposition des idéologies et des alliances en conséquence. Prenons la juste mesure de l'importance du CCG, qui couvre 47 millions d'habitants et représente 20% du pétrole mondial. Il s'agit d'un acteur important de l'aire arabe, vu ses disponibilités financières et ses options idéologiques. Travaillant, en principe, dans l'unité, il fut perturbé par le jeu politique de Qatar, qui soutient l'islam politique contre les vues de ses partenaires. La formation de la coalition de l'opération "tempête décisive", au Yémen, devait reconstituer le consensus originel. Dirigée par l'Arabie Saoudite, elle réunit tous les pays du Golfe, à l'exception d'Oman.
Peut-on dire que le conflit du Yémen ne présente pas d'enjeu stratégique, affirmation hâtive d-un analyste ? (Renaud Gérard, l'épidémie des conflits gelés", opinion, in Le Monde, 28 avril 2015). Certes, le Yémen est un des pays les plus pauvres de la planète. Il ne dispose pas de richesses pétrolières. Mais il contrôle l'entrée de la mer Rouge, vital pour le transport du pétrole. D'autre part, son accès au canal de Suez, par Bab al-Mendeb, permettrait, en cas de guerres, des attaques notamment contre l'Arabie Saoudite et l'Egypte. Robert Fisk, envoyé spécial du quotidien anglais The Independent, estime que la bataille qui s'engage, entre sunnites et chiites, a pour but le contrôle de tout le Moyen-Orient et à l'occasion, des champs de pétrole qu'il y recèle. Il estime que " l'Arabie Saoudite saute dans l'abîme". Certes, dit-il, "l'histoire peut dire que les attaques au Yémen inaugurent une grande guerre civile, entre les Sunnites et les chiites. Elles peuvent satisfaire l'Ouest - et Israël- croyant qu'ils font la guerre entre eux. Cependant, il peut aussi être vrai que cette opération constitue la dernière tentative des Saoudiens pour prouver qu'ils sont un pouvoir militaire majeur" (Robert Fisk "la bataille pour l'avenir du Moyen-Orient commence au Yémen …", in http://www.independent.co.uk, 20 mai 2015). La guerre du Yémen s'explique par les rivalités entre l'Arabie Saoudite et l'Iran, à l'appui de leurs oppositions géopolitiques et de leurs alliances, l'aspect religieux étant un facteur supplémentaire de discorde, sinon un prétexte.
L'extension spectaculaire du pouvoir de la minorité Houthie ne relève guerre de la simple dynamique interne. S'alliant à l'ancien président Salah, les Houthis ont occupé Sanaa, le 22 septembre et étendu leur pouvoir, depuis lors à d'autres régions. Le Président Hédi dut quitter Sanaa, pour Aden avant de rejoindre l'Arabie. La coalition a engagé l'opération "tempête décisive", le 26 mars, pour faire échec à la prise du pouvoir des Houthis, au Yémen. L'intervention militaire saoudienne - une opération-surprise, précipitée selon certains, avait, pour objectif, de restaurer le pouvoir du gouvernement de transition. L'Arabie Saoudite a décidé, depuis lors, d'arrêter l'opération "tempête décisive" et d'engager la phase deux, baptisée "rendre espoir". Mais, de fait les combats se poursuivent.
Le Yémen risque-t-il de devenir une pomme de discorde entre l'Occident et la Russie ? Tout en soutenant leur allié régional traditionnel, les Etats-Unis ont adopté une attitude prudente. La Russie a affirmé qu'elle s'opposait à l'intervention saoudite. "Il faut s'attendre à des controverses, au Conseil de Sécurité… Toute fois cela n'ira pas au-delà des débats diplomatiques", affirme expert russe Grigori Kossatch (Nikolai Sourkove, "Yémen: Moscou face au camp Occidental, supplément Russia, Le Figaro, 29 avril 2009). Néanmoins, le conflit yéménite semble mettre à l'ordre du jour une guerre d'usure, avec nécessairement des interventions sur le terrain et des opérations asymétriques.
