Culture, gouvernance et lutte contre la corruption
Par Mansour M’henni
Intéressant à plus d’un titre le forum régional organisé pour la première fois autour d’une problématique de pressante actualité,
celle de « Culture de la gouvernance et gouvernance de la culture dans le monde arabo-musulman : Quelle vision stratégique commune ? ». Cette rencontre étendue sur trois jours, du 19 au 21 mai 2017, est initiée par le ministère tunisien des Affaires culturelles, l’Instance Nationale pour la lutte contre la corruption (INLUCC) et l’ISESCO.
Il n’est certes pas question, dans cette chronique, de faire le compte rendu des communications présentées, malgré l’intérêt certain qu’elles ont suscité : les reportages spécialisés s’en chargent. Tout juste peut-on ici formuler une idée sur la problématique posée, à la lumière surtout d’interrogations de grande acuité posées par les communications d’ouverture présentées respectivement par Me Chawki Tabib, président de l’INLUCC, par Pr. Mohamed Zinelabidine, ministre des Affaires Culturelles, Dr. Abdallah Ben Arfa, responsable de la direction culturelle de l’ISESCO et M. Mokhtar Khalfaoui, membre du conseil exécutif de l’ISESCO.
De fait, la question de la gouvernance, la bonne évidemment car la mauvaise n’en est pas une, est à l’ordre du jour depuis les années 90 du XX° siècle pour désigner l’ensemble des conditions de la bonne gestion (abstraction faite du sens étymologique chez Platon désignant « le fait de gouverner les hommes » et de ses variantes à travers les langues et les siècles). Curieusement, depuis, on n’a peut-être jamais autant entendu parler de corruption et de mauvaise gestion. Sans doute les deux notions sont-elles si étroitement liées que la dynamisation de la première aboutit systématiquement à la mise à nu des mécanismes sournois et arrogants de la seconde. On comprend alors la participation toute d’implication responsable de l’INLUCC à ce forum, puisque sa mission centrale est de répondre à la « nécessité de déclarer la guerre à la corruption ». Et pour ce faire, dit le président de l’INLUCC, tous les moyens sont bons, surtout ceux « qui passent par la culture et par l’éducation ».
Là est donc le maître mot, « la culture », l’éducation en étant un pilier fondamental. Rien de plus normal donc que le ministère des Affaires culturelles soit le premier ou l’un des premiers à signer une convention avec l’INLUCC pour la lutte contre la corruption. Rien de surprenant non plus que cette institution gouvernementale s’associe à l’instance pour l’organisation de ce forum dont le débat sur la transition démocratique en Tunisie ne saurait ignorer les questions et les interpellations. Cela nous semble en cohérence avec ce que nous croyions avoir compris du programme du « gouvernement d’union nationale », en l’occurrence faire de la culture un pilier central du développement intégral du pays et de la société. Ainsi parla le président du Gouvernement lors de son premier discours devant l’ARP (Assemblée des représentants du peuple) ; ainsi enchaîne à chaque fois le ministre des Affaires culturelles.
La gouvernance est donc d’abord une culture, ce qui ne l’empêche pas de recourir chaque fois que nécessaire aux moyens coercitifs et dissuasifs. La gouvernance doit se libérer, petit à petit, de son manteau de policier et de sa robe de juge pour envahir, comme un sang neuf ou renouvelé, les veines et les vaisseaux du corps citoyen, de la tête aux pieds, dans le cœur et dans le cerveau. Or si l’on conclut à cela, les choses se compliquent, surtout au vu du budget dont dispose le ministère de la culture et même des moyens qui viendraient d’ailleurs à l’appui du secteur. Car voilà finalement qu’on demande à la culture de sculpter la société de nouveau en lui donnant à peine les moyens de la prendre en photo !
Sur un autre plan, la complexité s’accentue quand la question est posée, et l’ambition tracée, sur le plan régional, par exemple à l’échelle du monde arabo-musulman dont l’apparente cohérence dénominative ne saurait cacher les spécificités, les différences ni les divergences. Le ministre des Affaires culturelles a eu le courage de poser les problèmes y attenants, de son point de vue d’intellectuel responsable, et de souligner particulièrement l’absence d’une vision cohérente et intégrale de la culture (surtout dans l’ensemble des pays arabo-musulmans) ; ainsi que l’hésitation presque généralisée à aller jusqu’au bout de la définition et de la précision des concepts utilisés, surtout celui de la culture qui se trouve souvent au centre de plusieurs confusions, faisant obstruction à une vraie conscience culturelle, créative et impliquée. Comment donc monter un vrai mouvement culturel arabo-musulman sur des bases aussi fragiles ?
La réponse est bien de l’ordre de la gouvernance culturelle qui, une fois bien conduite, peut aboutir à une vraie culture de la gouvernance se nourrissant de l’affect et de l’intellect du citoyen, car on serait ainsi en mode de citoyenneté culturelle, indissociable de la démocratisation de la culture.
Puisse ce forum et les recommandations qui en émaneront constituer une plateforme de travail et d’interaction pour une vraie dynamique de gouvernance et de culture, binaire dans son unité, comme une « cultugouvernance ».
