D. Trump et le FBI, malentendu sur la « loyauté honnête »

Par Mansour M’henni

 Parallèlement à la crise des pays du Golfe autour de la question du Qatar et de son implication dans l’encouragement du terrorisme et l’ingérence dans la politique intérieure des autres pays,

le contentieux entre D. Trump, le nouveau président des USA, et l'ex-patron du FBI James Comey bat son plein à l’occasion de la déposition de ce dernier devant la commission judiciaire du Sénat et de la suite de ses auditions par la commission sénatoriale du Renseignement.

Le texte de cette déposition, publié par son auteur, a été littéralement traduit en français et publié par le nouvelobs.com le 8 juin 2017. Tout cela est bien beau pour la démocratie parce qu’il montre à quel point la démocratie peut donner lieu à des manipulations et même conduire à la corruption, mais qu’elle possède en même temps de quoi dévoiler ces dysfonctionnements et, au besoin, imposer de les sanctionner conformément aux lois en vigueur. Voilà qui confirme encore que la démocratie est « le moins mauvais des systèmes politiques » et, dirais-je, avec beaucoup d’honnêteté et de bonne volonté, « le meilleur des systèmes politiques ».

Il ne m’importe pas ici de m’attarder sur ce qui relèverait de l’anecdotique ou du spectaculaire et qui peut déboucher sur des effets divers, jusqu’aux plus radicaux, semble-t-il, pour le président américain et son entourage. Je voudrais juste m’attarder sur un concept qui a été développé dans la déposition de l’ex-patron du FBI, en référence à un dîner privé avec le chef de l’exécutif du plus puissant pays du monde. Il s’agit de ce qui a été traduit par « loyauté honnête » et que cet extrait du texte de la déposition permet de saisir dans toute son ambiguïté :

« Vers la fin de notre dîner, le président a évoqué à nouveau le sujet de mon travail, disant qu'il était très heureux que je veuille rester, ajoutant qu'il avait entendu plein de bonnes choses à mon sujet de Jim Mattis, Jeff Sessions et beaucoup d'autres. Il a ensuite dit : "J'ai besoin de loyauté." J'ai répondu : "Vous pourrez toujours compter sur mon honnêteté." Il a fait une pause et dit : "C'est ce que je veux, une loyauté honnête." J'ai fait une pause et répondu : "Vous aurez cela de moi." Comme je l'ai écrit dans le mémo que j'ai produit immédiatement après le dîner, il est possible que nous ayons compris différemment l'expression "loyauté honnête", mais j'ai décidé qu'il ne serait pas productif de le pousser plus loin. Le terme – loyauté honnête –avait permis de mettre fin à une conversation très gênante, et mes explications avaient clarifié ce à quoi il pouvait s'attendre. » 

La vraie question, à ce propos, porte sur le juste équilibre à trouver entre les deux valeurs de « loyauté » et de « honnêteté ». En effet, le malentendu fondamental est que la loyauté est réclamée par Trump pour son intérêt personnel, même s’il essaie de la justifier plus loin en décrivant « l'enquête de la Russie comme "un nuage" qui compromettait sa capacité à agir au nom du pays ». Quant à l’honnêteté, elle est une valeur qui transcende les intérêts personnels et qui ne saurait qualifier une quelconque valeur de moindre portée éthique. De fait donc, du point de vue moral, on peut parler d’une « honnêteté loyale » de façon à sous-entendre que la loyauté est d’abord soumise à l’exigence d’honnêteté. Par contre une « loyauté honnête » soumet nécessairement l’honnêteté à la contrainte (ou au devoir) de loyauté, malgré le risque que toute personnalisation pourrait occasionner en termes de déformation ou de détournement dans les présupposés et les principes éthiques de la loyauté.

C’est d’ailleurs en raison de cette ambiguïté régnant sur l’acception du concept conduit par les deux interlocuteurs (comme le « nuage » dont l’affaire russe semble cerner la mission de Trump) que la discussion finit sur une clôture du propos passant pour un accord apparent et valant comme un malentendu latent.

Tels sont les types de complots contre la démocratie, le double langage et les accords bâtis sur des concepts mal définis ou mal entendus. Mais cela semble relever de l’essence même des rapports et de la pratique politiques. C’est pourquoi d’aucuns seraient justifiés de se demander si les politiques agissent vraiment pour la démocratie ou s’ils ne font que manipuler un concept trop fluide pour les soumettre rigoureusement à une quelconque obligation pouvant compromettre leurs intentions les plus suspectes et les manigances montées pour y conduire de la façon la plus machiavélique.

 Retenir surtout, à la fin, que ce concept de « loyauté honnête » est de mise un peu partout dans le monde, quels que soient les régimes politiques en place.