Etre à la hauteur de l’intelligence de la mémoire bourguibienne

Par Mansour M’henni 

Devant le spectacle désolant de certains comportements nourrissant la haine, appelant à la violence, insensibles à la menace, peu préoccupés par l’avenir, j’avoue avoir, par moments, des sentiments de déprime qui bloquent l’inspiration et me poussent à me demander pourquoi continuer d’écrire ! 

Mais arrivant au point culminant de l’amertume, le stylo ou le clavier m’appellent de nouveau et je me rappelle la phrase d’Albert Camus dans La Peste : « Il faut faire ce qu’il faut ».

En effet, entre autres actions que j’entreprends, toujours avec l’intention de bien faire et de bien servir la cause commune, en m’adaptant aux conditions objectives, il y a l’écriture vers laquelle je reviens et à laquelle je reste fidèle comme à l’âme de mes parents. Je retrouve alors un élan pour croire que la voix la plus faible et la plus lointaine arrive à gagner ne serait-ce qu’une petite écoute et que celle-ci, à son tour, peut avoir un effet, fût-il moindre, et contribuer à quelque chose d’utile. Là aussi, me revient la phrase d’un personnage de « fou du village » dans le film de Fellini, La Strada : « Tout dans la vie sert à quelque chose. Même [un] petit caillou sert à quelque chose ! »

« Mais qu’est-ce qui vous désole tant ? », vous entends-je demander. Eh bien, c’est cet entêtement criard à vouloir tout diaboliser en bloc, même les symboles les plus nobles et de le faire parfois au profit d’autres symboles montés de mille pièces, de façon un peu trop aléatoire. Le cas le plus évident ces derniers jours, fut celui du personnage de Bourguiba.

De quelle curieuse façon ses ennemis d’hier, des ennemis mortels, s’apitoient-ils sur son sort, au fond, sans compassion pour lui, juste pour s’attaquer à ses adeptes au nom de prétendues valeurs dont ils devraient repenser l’essence et épouser la conduite ! J’ose à peine évoquer ce jeune homme, sur le plateau d’une télévision, enflammé d’une grande haine pour le Leader de la libération nationale, lui opposant la noblesse et l’ascendant d’un « autre avocat » décédé, son « maître » (Dieu lui pardonne !), qui vaudrait, à son avis, toutes les valeurs symboliques et toutes les dimensions héroïques ! Plus facile à dire qu’à prouver ! Mais le jeune homme peut avoir pour lui les circonstances atténuantes de l’adolescence (quelque peu retardée) et de l’inexpérience.

Cependant, que dire de cet autre avocat embrigadé, réussissant mal à finir une phrase, tellement il semble tiraillé entre le coq et l’âne, se tuant à convaincre sans arguments raisonnables et à condamner sans des raisons valables ? Il faut dire que de l’autre côté de la polémique, les adversaires ne sont guère, pour la plupart, de vrais disciples de la rationalité bourguibienne. Ils se trahissent vite alors, laissant voir les traits retors de leur ego par trop amplifié au détriment de toute cause d’intérêt commun.

Finalement, on en arrive à se demander s’il n’y a que ces voix pour parler de Bourguiba. La réponse est évidente : Oui ! Il y en a d’autres et des plus à même de le faire, de tous points de vue d’ailleurs : l’adepte, le sympathisant, le moins subjectif, l’opposant, l’ennemi. Effectivement, de tous ces bords, on peut converser de questions aussi importantes que « le fait Bourguiba » et « l’effet Bourguiba ». Mais les médias ne chercheraient dans les circonstances liées à la mémoire du fondateur de la Tunisie moderne que l’occasion d’une provocation, pour le buzz. Une telle ligne éditoriale se comprendrait pour quelques vecteurs médiatiques. Or voilà que le phénomène semble se généraliser, à propos de tout ou presque, ramenant en définitive toutes les lignes éditoriales à une seule, jugée plus rentable en termes d’audimat ! Y a-t-il conscience qu’à faire ainsi, la liberté de presse est ramenée à l’imitation et aux modèles préétablis, au détriment de la liberté créatrice et de l’innovation, qui sont les maîtres mots de la liberté d’expression ?

Quant à Bourguiba, au-delà ou en-deçà des défauts de sa personne ou des défaillances de sa gouvernance, il reste une vraie école tout comme il a été le chantre de l’Ecole. A chaque circonstance le concernant, son symbole devrait servir d’une matière d’étude et d’un corpus d’analyse pour le réexamen des démarches, en rapport à leurs contextes, pour l’approfondissement et l’actualisation de la pensée de base, et surtout pour la prospection et l’édification de l’avenir.

Curieusement, de façon consciente ou non, aussi bien les adeptes de Bourguiba que ses ennemis intraitables sont, d’une manière ou d’une autre, en train d’essayer de tuer Bourguiba par le mauvais usage qu’ils font de son héritage ! Malheureusement pour eux, heureusement pour l’Histoire, à chaque fois Bourguiba renaît de ses cendres pour leur crier à la figure qu’ils ne sont pas à la hauteur de l’intelligence de sa mémoire.