Le Tunnel borbonico à Naples et les leçons à en tirer
Par Mansour M’henni
Naples est une très belle ville, on ne saurait en douter.
On raconte même que la célèbre phrase « Voir Venise et mourir » aurait été dite d’abord de la ville de Naples ! « Voir Naples et mourir ? » Au contraire, quand on a vu Naples, Venise aussi d’ailleurs, on n’a plus envie de mourir et l’on pense surtout à y revenir.
Qu’on ne s’y méprenne pas : il ne s’agit pas de présenter Naples comme un paradis sur terre et d’oublier ce qu’y fait parfois le Vésuve et qui n’est pas plus cruel que ce qu’y font certaines mains criminelles de la mafia organisée, comme le dernier incendie qui, le 12 juillet, empêchait de distinguer les traits du mont volcanique. Cela me rappelle certains incendies de chez nous, notamment ceux ayant ravagé des pans de la forêt de Chichou, depuis 2011, et à propos desquels certains noms assez connus avaient été prononcés, sans qu’enquête judiciaire s’en suive, que je sache !
La baie de Naples est un vrai charme, surtout méditée des différentes hauteurs fournies par le relief de la ville et offrant des vues variées, le plus souvent orientées vers le Vésuve sur fond de souvenir de Pompei, ou vers l’île à la silhouette de crocodile dont Hervé Villard immortalisa le nom par une chanson hier de grand succès, aujourd’hui de triste et douce nostalgie : « Capri, c’est fini ! Et dire que c’était la ville de mon premier amour… »
Mais loin de tout romantisme des années soixante, on ne saurait ne pas s’arrêter sur le cas du Tunnel borbonico, alias Galleria borbonica, cette galerie de 430 mètres de long, creusée au 19ème siècle par les Bourbons quand ils régnaient sur le royaume de Naples. Evidemment, quand on y est, emboitant le pas à un guide aussi éloquent en italien qu’en anglais, on ne peut oublier que le tunnel où l’on est accumule des strates d’Histoire allant des Romains jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale dont la ferraille y est exposée dans son aspect le plus macabre.
Ce qu’il importe cependant de retenir, c’est que, pour les Napolitains, au-delà des obstacles géologiques, financiers ou techniques, les projets à l’origine ou à l’articulation de ce tunnel sont d’abord la preuve la plus évidente du pouvoir de la corruption. A les écouter et à penser à d’autres lieux, beaucoup plus proches de nous, nous aurions tendance à affirmer de façon tranchée que là où un projet s’attarde ou ne s’accomplit pas, il y a corruption en la demeure.
L’autre leçon à tirer de la visite du Tunnel borbonico, c’est le mérite de l’action associative quand elle est conduite par une équipe unie et solidaire. En effet, la réhabilitation et la restauration de la Galleria borbonica est due à une association qui a su, par une mobilisation activiste, intelligemment conduite, à impliquer le monde des affaires et à associer, dans son objet, la réhabilitation du patrimoine et la création des entreprises. Ainsi, les visites sont ininterrompues ou presque et on a généralement, sur 90 minutes, trois équipes en exploration des lieux (trois parcours différents sont offerts aux visiteurs, à chaque fois), renseignées chacune par un guide. A 15 euros la personne, l'Associazione Culturale Borbonica Sotterranea, gestionnaire du projet, ne devrait pas croupir dans l’indigence, sans oublier les autres entrées de différents modes d’exploitation du monument.
Cela me rappelle un temps, le début des années 90 quand, animé d’une grande passion pour le patrimoine et d’un inaliénable amour pour ma ville natale, j’ai fondé une association pour la sauvegarde de la ville et un musée du patrimoine que je voulais installer au cœur de l’ancienne médina. Je préfère ne pas parler des péripéties de cette association et de ses réalisations. Le temps semble fini où l’on pensait que l’avenir se construisait sur les acquis du passé. On vivrait plutôt à l’âge de « ôte-toi que je m’y mette », et cela à tous les niveaux.
l'Associazione Culturale Borbonica Sotterranea a su initier dans ces lieux de mort une vie économique et culturelle des plus intenses : parkings souterrains avec un design innovant, magasins, espaces de spectacles ou de réunions, etc. Un exemple à méditer !
Pour finir, disons que jamais ne vivra assez un roi qui croit devoir son pouvoir à la mort de son prédécesseur et gagner sa gloire sur les décombres d’un déchu. On n’a vraiment pour soi, et de façon durable, que ce que l’on doit à sa propre initiative et à sa capacité de partage.
