Obsèques nationales de Caid Essebsi : L'éloge funèbre d'Emmanuel Macron
La Tunisie, endeuillée, s'apprête à enterrer ce samedi 27 juillet 2019 son président Béji Caid Essebsi, décédé le jeudi 25 juillet 2019 à l'hôpital militaire de Tunis.
Une cérémonie officielle s’est déroulée au Palais présidentiel de Carthage en présence de plusieurs chefs d'Etat, venus du monde entier rendre un dernier hommage à Béji Caid Essebsi.
Arrivé ce matin à Tunis, le président français Emmanuel Macron a rendu un vibrant hommage au défunt président de la République.
Voici l'intégralité de l'éloge funèbre prononcé par Emmanuel Macron à la mémoire de Béji Caid Essebsi :
"Monsieur le président,
Mesdames messieurs les membres du gouvernement, chère famille, votre majesté, mesdames messieurs, les chefs d'Etat, de gouvernements et ministres,
Nous sommes là aujourd'hui pour rendre hommage et accompagner le président Essebsi, lui qui nous a quittés le 25 juillet dernier, en ce jour même de la fête de la République, et lui dont le destin était lié à celui de la Tunisie.
Je voulais ici, en étant parmi vous, vous dire d'abord et avant tout toute l'amitié et l'affection, le respect du peuple français pour le peuple tunisien et l'accompagner dans ce moment de deuil, dire aussi notre admiration pour la dignité, la force, la sérénité durant ces jours derniers.
Il y a la tristesse qui est là dans tout le pays, mais il y a aussi toute la dignité d'un peuple qui se tient au côté de son président et l'accompagne.
Vous dire aussi le profond respect et l'amitié, chère famille, pour le président Essebsi lui-même.
Monsieur le président, vous avez rappelé vos combats communs dans cette Tunisie de Bourguiba, ces engagements destouriens, celui qui fut trois fois ministre de Bourguiba, premier ministre en 2011, deux fois ambassadeur, trois fois député et président de la Chambre qui marqua ces dernières décennies, fut un homme de combat de conquête de force de caractère, qui parfois nous conduit aussi de savoir démissionner lorsqu'il le fallait.
Et cet ancien étudiant de la Sorbonne devenu plusieurs décennies plus tard docteur honoris causa de cette même université, je dois bien le dire, il avait un lien tout particulier avec la France.
Je veux vous dire aussi toute l'affection toute particulière, qui était la mienne à son égard.
Filiale, si vous m'autorisez ce terme, il m'a beaucoup appris.
Et je crois pour beaucoup d'entre nous, qui avons accompagné ces dernières années dans sa mission, dans les sommets internationaux et dans le travail du quotidien, il y avait chez le président Essebsi toute une série de paradoxes : La sagesse de celui qui était le doyen d'entre nous et une forme d'insolence juvénile, qui ne cédait à rien, ce sentiment qu'il pouvait donner, de se déprendre des choses, de les laisser faire quand soudain, afféré, il venait les reprendre et emporter la chose.
Vous aviez un grand président, un très grand président, qui avait su garder tout à la fois : La sagesse des décennies accumulées et une jeunesse qui ne cédait à rien.
Une volonté d'embrasser le monde tel qu'il était.
Pour moi, c'est cela "Si El Béji"
Et lorsque nous réunissions il y a un peu plus d'un an autour du président Sarraj, toutes les forces libyennes qui parfois ne s'étaient parler les unes avec les autres, il était là, je m'en souviens comme hier, avec une force incroyable, leur disant mes frères, expliquant combien il fallait s'entendre avec une force de conviction que nulle autre n'avait su avoir avant lui dans cette salle.
La même conviction qu'il avait su avoir pour la francophonie qui avait conduit à décider d'accueillir le prochain sommet dans plusieurs mois ici-même.
Il fut le premier président de la deuxième République de Tunisie.
Et avec cette présence bienveillante, cette vision qui était la sienne, cette force d'âme, il a supporté pour votre pays, pour notre peuple ami tunisien, la stabilité de la constitution, l'attachement à la liberté, à l'ouverture, une place inédite de néo-femme, et à l'égalité entre les femmes et les hommes avec courage, qu'il s'agisse du mariage comme de l'héritage.
Il a su de nouveau embrasser les combats de son époque, qui comme Bourguiba, jadis menait la Tunisie dans l'ère de la modernité.
Ses combats ne sont pas achevés, mais dans des temps difficiles, où l'obscurantisme menaçait où le terrorisme était là, où le cours du monde nous a tous bousculés.
Il a fait partie de ceux qui ont tenu avec courage, pour une Tunisie éclairée, ouverte, tolérante, attachée aux valeurs universelles.
Je relisais il y a quelques instants, dans le livre qu'il consacra à Habib Bourguiba, les mots qu'il avait pour les funérailles de Bourguiba.
Et le président Essebsi disait combien ses funérailles furent cruelles, le peuple étant tenu à l'écart.
Il avait des considérations pour Bourguiba, comme pour Hannibal d'ailleurs et je le dis dans ce lieu qui réconcilie ainsi les siècles, il disait combien les peuples sont ingrats avec ceux qui les ont dirigés.
Je crois pouvoir dire que le peuple Tunisien n'attendra pas pour donner sa gratitude.
Alors monsieur le Président, Si El Béji, dans quelques instants, c'est le peuple tunisien, qui, aux côtés de votre famille et de tous ceux qui vous aiment, vous accompagnera jusqu'à votre dernière demeure.
C'est le peuple tunisien qui saura profondément ce qu'il vous doit et les combats que vous avez menez.C
'est le peuple tunisien qui saura qu'il faut maintenant se montrer tout à la fois disponible au moment qu'il advient et digne de ce que ce peuple à être et pour lequel vous avez tout donné.
Quel plus bel hommage que de vous rendre, que de porter une Tunisie ouverte, tolérante, patriotique, fidèle à elle-même.
Une Tunisie qui saura que devenir ce qu'elle a à être c'est d'aimer la liberté et la défendre.
Une Tunisie qui saura tout ce qu'elle doit aux femmes tunisiennes et à la liberté qu'elles porte.
C'est cette Tunisie là qui vous accompagnera monsieur le président et qui aura à choisir son destin, parce que de toutes vos forces ces dernières années vous l'avez porté, pour qu'elle soit digne de cela.
Alors merci à vous."
