A. Mourou entre son spectacle pathétique et la stratégie médiatique d’Ennahdha
Par Mansour M’henni
Abdelfettah Mourou semble allier, dans sa stratégie de communication, le mou et le gourou. Doux jusqu’aux larmes quand il en sent l’opportunité, tranchant jusqu’à l’intraitable quand il y sent l’avantage. La rhétorique, c’est bien cela, prendre l’autre, l’interlocuteur, par le bout du cou le plus sensible, et l’entraîner derrière soi là où l’on veut qu’il soit, sans lui laisser le temps de respirer autre chose que la pollution idéologique qu’on lui présente comme l’air le plus pur et le plus sain.
C’est peut-être commun à tous les politiques et c’est alors à qui y réussit le mieux ; tant pis pour le public qui n’est pas suffisamment immunisé. En tout cas, notre Mourou excelle dans l’art de la rhétorique et c’est sans doute pour cela que l’oralité lui convient mieux que tout écrit. Cela me rappelle un journaliste français qui, en plein conflit entre Nasser et Bourguiba, écrivait que le premier était chanteur et que le second était acteur. Il y a de quoi de croire que le Mourou est les deux à la fois, un peu d’ailleurs dans une lignée bien connue de certains orateurs des prêches, qui ne sont plus seulement des prêches du vendredi.
Il faut dire qu’en bons musulmans que nous croyons être (Seul Dieu jugera), nous n’avons rien contre l’éloquence des prêches qui restent dans leur domaine spécifique, celui de la foi en tant que choix personnel et intime scellant la nature de la relation que le croyant a établie entre lui et le Créateur. Mais, dès que la politique, ou même le politique, s’infiltre dans ce type de discours, c’est un mauvais présage.
Revenons à A. Mourou, premier vice du Président de l’ARP, qui, à l’aube du changement de 2011, a allié, dans ses propos et dans ses positions, les deux extrêmes sous prétexte de les ramener vers une attitude médiane capable de contenir la réconciliation entre les divergences. On a surtout retenu de lui sa façon de convaincre Ouajdi Ghnim, dont il feint d’ignorer le nom à la télévision, de sa propre stratégie consistant à travailler sur l’affect et l’intellect des femmes et des enfants pour préparer le projet d’une société islamiste, à réaliser par étape plutôt que dans une brusquerie qui risquerait de lui être fatale. On a retenu de lui aussi cette injonction aux islamistes d’Ennahdha de reconnaître leurs erreurs du passé et d’en demander pardon.
Ce fut alors la période de balancement de Mourou entre sa légitimité dans la direction du Mouvement, au moins en tant que fondateur, et son dénigrement en tant que réfractaire à l’idéologie fondamentaliste. Aujourd’hui que le mouvement Ennahdha s’inscrit dans une coalition gouvernementale qui lui dicte de se positionner favorablement à la réconciliation, à la « médianité » et à la civilité, autant que possible, Mourou devient le porte-voix idéal et il le fait à merveille, sauf qu’il en abuse parfois.
Mourou, comme d’autres encore à Ennahdha, retrouve le secteur culturel dans tout ce qu’on lui reprochait du point de vue islamiste, et provoque même l’actualisation médiatique de ce type de rapports. Mourou fait semblant de rester discret sur ses interventions sociales au profit des pauvres et des nécessiteux, mais il sait d’avance (de commun accord avec l’animateur ou de façon fortuite) qu’il finira par en parler de la manière qui réussira le mieux l’effet recherché. A l’appui de cette stratégie, le spectacle des larmes modulées sur l’intonation d’une voix baignant soudain dans le pathétique. De toute façon, même si le téléspectateur ne s’en rend pas bien compte, il est entendu entre l’animateur et l’invité de souligner le fait et de le dire au moins deux fois, par la bouche de l’un et par celle de l’autre.
La morale de l’histoire est, pour M. Mourou, que les Tunisiens doivent aider Ennahdha à devenir un mouvement civil, ce que ce mouvement n’est évidemment pas encore de l’avis de tout le monde et de l’aveu de son vice-président même. Mais, M. Mourou, n’est-ce pas à Ennahdha d’abord, en tant que parti cette fois, de convaincre les Tunisiens, par des actes concrets, qu’il va sincèrement, sérieusement et irréversiblement dans le sens du caractère civil. Cat les Tunisiens n’attendent que cela, pour l’intérêt de tous.
Cependant, cela ne saurait se faire à coups de larmes et d’excès de pathétique dans les œuvres sociales : ces actes relèvent de l’intime et notre prophète avait expressément recommandé la plus grande discrétion sur ces questions. Cela se ferait à coups de preuves politiques, notamment par l’impact que le discours rassurant de certains dirigeants peut avoir auprès des militants de base du Mouvement. Autrement, c’est l’effet inverse qui risque de se produire, en creusant encore plus l’idée en vogue d’un double discours et d’une discordance entre le dire et le faire.
