Autant en emporte le vent


Par : Boubaker Ben Fraj
« AUTANT EN EMPORTE LE VENT..» ; Je me demande pourquoi, cette expression qui a titré deux grands chefs d’œuvre de la littérature et du cinéma du XXème siècle, ne cesse ces derniers jours de me revenir à l’esprit, avec beaucoup d’insistance ?
Elle me revient de manière presque obsédante , sans que je ne l’invite, s’imposant à moi comme un retour d’échos peu amène , toutes les fois qu’il m’arrive de prêter l’oreille aux candidats en lisse dans les deux compétitions électorales en cours, entrain de débiter les promesses qu’ils comptent mettre en œuvre, s’il leur arrivait d’accéder aux commandes du pays au cours des cinq années à venir .
Dois-je en conclure que je suis à ce point devenu incrédule, indifférent et blasé ?
Rien n’est moins sûr, car, de ces programmes électoraux, j’en ai déjà assez lu et écouté. Au moins, autant que le temps m’a permis de faire et mes facultés d’assimilation m’ont permis de comprendre.
Je les ai suivis jusqu’à maintenant avec application; car mon statut fraichement acquis de citoyen libre et responsable m’impose de prendre mon rôle d’électeur très au sérieux ; et de ne donner ma précieuse voix en fin de course, qu’à ceux qui la méritent et en parfaite connaissance de leurs idées et de leurs projets.
Pour cette raison et par acquis de conscience, je me suis promis de continuer au cours de ces semaines de marathon électoral, à m’informer avec plus de zèle ; d’y consacrer s’il le fallait le plus clair de mes journées ; afin qu’aucun projet ne puisse échapper à ma quête. Et dans cette quête, Je ne négligerai rien : des projets les plus étoffés aux plus frivoles; des mieux construits aux plus farfelus, des plus clairs aux plus confus, des plus consistants aux plus légers, des plus sophistiqués aux plus élémentaires, des plus réalistes aux plus fantaisistes.
Et pour plus m’imprégner encore, J’assisterai aux meetings, je lirai les slogans sur les banderoles ; je m’arrêterai devant les panneaux publicitaires et dévisagerai les tristes affichettes aux portraits collées en séries sur les murs aveugles de la ville ; je ramasserai les prospectus électoraux dans les rues et n’aurai d’oreilles que pour les déclarations en cascade transmises par nos radios et chaines TV ; je consulterai les journaux du matin et du soir, je dépouillerai la toile et ferai au quotidien le parcours des réseaux sociaux.
Libre à vous de penser qu’en agissant ainsi, je fais preuve de boulimie, et qu’en cherchant à tout savoir, je risque fort d’être saturé, écœuré et Confus, au point d’y laisser ma raison et ma lucidité, de faire de mauvais choix ; ou peut-être même, de perdre le goût de choisir.
Peu importe. A suivre le flux incroyable de promesses auxquelles on a eu droit depuis le début de cette campagne, je reconnais avoir fini par être un peu trop grisé par la dose, exalté et euphorique ; presqu’en extase.
Et pour ne pas troubler l’état de grâce où je me trouve, j’ai décidé d’évacuer de mon esprit tous les soucis et tracas anxiogènes qui n’arrêtent plus ces derniers temps d’empoisonner mon vécu : à commencer par la dégringolade de mon niveau de vie et l’érosion de mon pouvoir d’achat ; mes factures que je peine à payer et mon compte bancaire que je n’arrive à sortir du rouge.
Et du même coup, je ne m’inquiète plus de la quasi-banqueroute de notre économie, de l’augmentation de nos dettes, de l’aggravation de tous nos déficits, de l’extension de la pauvreté et du chômage, de la propagation des trafics, de la fraude et de la contrebande, de l’approfondissement des déséquilibres entre les régions,
J’oublie aussi l’indescriptible délabrement de notre cadre vie, les ordures qui jonchent nos rues, la généralisation de l’incivilité et du laisser- aller dans nos lieux publics.
Je ne réfléchis plus au terrorisme durablement installé à l’intérieur de nos frontières ; ni au danger que représente le retour prévisible au pays de ces milliers de jeunes fanatisés, partis tuer ou se faire tuer sous la bannière du Jihad, dans des pays proches ou lointains ..…
Ainsi débarrassé de mes doutes et tous mes tracas, me voila maintenant tel un hypnotisé ou un ensorcelé, prêt à croire à toutes les belles promesses que vous me feriez.
Alors de grâce, continuez à nous en débiter, peu importe si elles sont fantaisistes ou mensongère. Donnez nous à croire par exemple, que le jour où vous seriez au pouvoir, l’impossible ne serait plus jamais tunisien.
Dites-nous qu’une fois élus, vous allez nous garantir la félicité sur terre et le salut dans l’au-delà, et que grâce à vous, notre identité sera retrouvée après avoir été travestie par tous ceux qui vous ont précédés.
Dites-nous qu’en peu d’années, vous allez réussir à faire de la Tunisie un dragon parmi les dragons de ce monde.
Dites-nous que vous allez à courte échéance, éradiquer la pauvreté, en finir avec le chômage et bannir la corruption ; que vous comptez créer en cinq ans un demi million d’emplois ; que vous allez redistribuer équitablement les richesses entre les classes et les régions ; que vous projetez d’édifier un réseau de lignes TGV pour désenclaver nos zones lointaines ; que vous allez faire venir au pas de course des milliers de gros investisseurs et des millions de touristes milliardaires.
Promettez-nous que vous arriverez, moyennant peu de frais et sans gros sacrifices, à sécuriser le pays et à éradiquer le terrorisme et la violence,
Dites-nous que vous avez tout prévu pour sortir notre enseignement public entièrement dévalorisé de sa crise, et pour le rehausser au niveau de l’excellence.
Promettez- nous d’abaisser nos impôts et nos redevances, et en même temps, de généraliser la couverture sociale et les soins gratuits et de qualité à tous les tunisiens ; de fournir le transport sans frais aux personnes âgées ; et cerise sur le gâteau, d’octroyer des primes pour le financement des mariages de nos enfants et l’acquisition de leurs logements indépendants…..
Rassurez-vous honorables candidats, tant que durera notre état d’ivresse, toutes vos promesses seront écoutées et vos mensonges seront permis. Ne craignez rien pour le moment , tant qu’aucune loi ni aucune règle établie ne vous interdisent de nous miroiter vos mirages, de nous annoncer vos miracles, et de prendre purement et simplement vos compatriotes pour des imbéciles.
Mais méfiez-vous ; au cas où accéderiez au lendemain de ces élections aux commandes du pays, vous avez tout intérêt à vous préparer à un lendemain bien plus difficile et plus moribond qui ce que vous auriez imaginé.
Prenez garde quand le vent fort du prochain hiver emportera vos généreuses promesses ; lorsque la difficile réalité du pays vous imposera de revenir sur la parole donnée. Faites attention quand vous allez demander aux tunisiens - entre temps revenus à leur lucidité et à leur pénible réalité - encore plus de sacrifices, plus de privations, plus de patience ; et à votre égard, plus de confiance et d’indulgence.
Ce jour là, Il n’est pas du tout certain qu’ils vous entendront.



