Béji Caïd Essebsi et son voyage en Amérique


Par Mansour Mhenni
Peut-on faire déjà un bilan exhaustif du voyage du président de la République, Béji Caïd Essebsi, en Amérique ?
Sans doute pas tout à fait pour ce qui concerne le bénéfice et les concessions de cette négociation entre deux pays condamnés à l’échange, chacun avec ses conditions et avec ses moyens. Il n’en reste pas moins vrai que certains avantages sont acquis et que des faveurs sont accordées à notre pays.
Cependant, il est possible, même maintenant, donc à chaud, de commenter certains aspects de cette visite et certaines attitudes qu’elle a suscitées auprès des uns et des autres. J’en évoquerai ici deux seulement, qui me paraissent des plus en vue.
Il y a d’abord eu, dans la continuité d’un dénigrement systématique du président de la République depuis son élection, les commentaires, par trop improvisés et manifestement chargés d’animosité, de l’ancien porte-parole de l’ex-président provisoire Mohamed Moncef Marzouki et l’actuel chantre de son projet vaporeux du « Harak du peuple des citoyens ». Il y a tout à croire que les propos du seul inconditionnel encore de 3M, traduisaient une part de dépit quant à la façon dont l’administration américaine avait géré ses rapports avec l’ancien président provisoire.
On se souvient qu’au lendemain des élections de 2011 et du projet de constitution de la troïka, avec ses trois têtes déjà visibles, les USA avaient chargé leur ministre des Affaires étrangères de féliciter 3M, tandis que leur Président avait lui-même félicité Hamadi Jebali, SG d’Ennahdha et déjà annoncé comme chef du Gouvernement. Sans oublier qu’il avait eu auparavant un entretien des plus décontractés avec BCE quand il n’était encore que Premier ministre, en 2011.
Même plus tard, en marge d’une rencontre onusienne, notre diplomatie a dû faire des pieds et des mains pour obtenir à notre président provisoire une précieuse séance-photos avec le maître de la Maison Blanche, largement investie par la suite dans un marketing de dernier aloi pour le locataire du palais de Carthage. Il est normal donc que les membres de la famille politique de 3M, en tout cas les plus zélés de ses membres, ne voient pas d’un bon œil les honneurs faits à BCE par l’administration américaine, à tous les niveaux.
Qu’on approuve ou non cette attitude américaine, il faut bien comprendre que les USA ne laissent rien au hasard et qu’ils calculent tous leurs gestes, en plein accord avec leurs choix politiques et avec le poids et la personnalité de leur vis-à-vis. Hier, ils avaient misé sur Ennahdha comme maître d’œuvre de la transition et ce fut le cas, avec les aléas et les résultats que l’on sait. Aujourd’hui, ils comptent sur BCE et Nidaa Tounès pour la stabilisation de la situation tunisienne dans la poudrière régionale et pour la reprise de la dynamique de développement dans un air de démocratie que le pays n’avait pu obtenir avant janvier 2011.
Le seconde remarque concerne le « cas Mohsen Marzouk », au-delà de cet autre commentaire fait par le même porte-parole de 3M à propos de la signature, par le conseiller du président (il l’est encore officiellement jusqu’à ce jour) et le nouveau SG de Nidaa Tounès (il le sera pratiquement dans quelques jours), d’un document officiel « au nom du gouvernement tunisien ».
Je ne crois pas utile de revenir sur l’aspect juridique de la question, différemment commenté et développé jusqu’à la contradiction, comme à chaque fois que se déclenche un débat juridique. Pour le profane, il s’agirait d’un accord de principe obtenu par la présidence et signé au nom de celle-ci, non au nom du gouvernement puisque l’accord est conclu par la présidence. Il fallait alors qu’un haut responsable de la présidence le signe, et non le président, pourtant présent, puisque ce n’est pas le président américain qui a signé de l’autre côté de la convention. On peut même expliquer la procédure, qui ne concerne que la défense, par le fait que ce dossier relève des compétences du président de la République, en attendant sa finalisation et sa mise en application par les deux gouvernements. C’est parfaitement dans la logique des nouvelles prérogatives présidentielles et de sa marge d’initiative dans notre nouveau système de gouvernement. Bref, il faut de tout pour animer les débats politiques et médiatiques et cette question y a largement contribué, parfois au détriment d’autres questions bien plus urgentes.
Pourtant, la mise en avant de Mohsen Marzouk, toute justifiée, me semble-t-il, pour ce qui concerne cette signature, ne manque pas de signes politiques annonciateurs d’une entreprise de remise en ordre ou de réaménagement de la maison du Nidaa. Naïveté est de croire que BCE reste totalement insensible à ce qui se passe dans son parti et tout à fait étranger aux décisions qui se doivent pour lui éviter un démantèlement possible qui ferait le bonheur de tous ses adversaires (ne parlons pas d’ennemis en politique de démocratie !) et même de certains de ses alliés. En tout cas, la prise en main de la gestion du parti par Mohsen Marzouk, en sa qualité de Secrétaire général, est la touche présidentielle apportée au moment qu’il faut, après l’échéance accordée à l’équipe dirigeante du parti, pour qu’elle s’en sorte toute seule. Sinon comment expliquer la désignation unanime de Marzouk malgré les dissensions internes et tout le clan qui, jusqu’à très récemment, lui était opposé avec acharnement ?
Force est de reconnaître que Mohsen Marzouk est aujourd’hui le principal dirigeant du Nidaa, peut-être le seul encore, à avoir toute l’étoffe politique qui se devrait à ce moment de l’Histoire du parti, dans le contexte où se meut le pays. Tous les autres, malgré leur ambition de la première responsabilité, ne semblent avoir montré, jusqu’à présent, que des moyens et des compétences de comparses, au mieux de responsables de second ordre. On comprend d’ailleurs pourquoi certains de ces responsables qu’on croyait voués à une grande carrière politique se soient acharnés à prendre place dans le gouvernement, pour s’inscrire plus dans le statut de l’administration plutôt que dans le statut de dirigeant partisan.
Le simplisme serait de compter ces arrangements politiques sur des animosités personnelles entre les responsables d’un même parti. C’est tout simplement de la politique qui gère ses préférences à l’aulne de certaines compétences.
Ainsi, par une volonté manifeste de BCE et par la décision ferme qui l’a concrétisée, Mohsen Marzouk est désormais porteur d’une mission qui va peut-être sceller sa carrière future et l’avenir de son parti, l’avenir du pays aussi, ajouteraient certains commentateurs. Moyennant de petits ajustements, le nouveau secrétaire général du Nidaa peut très bien réussir cette mission. Toutefois la préparation et l’organisation du premier congrès du Nidaa seront déterminantes à la fois pour les résultats du congrès et pour la suite du parcours politique de Marzouk.
Et pour finir sur une note d’humour, on peut dire que BCE a chargé Marzouk de débarrasser la présidence du « i » de trop et provisoire qui traîne à l’arrière du nom de Marzouki !



