Bourguiba… Toujours… De retour…

Par Mansour M’henni

 A chaque commémoration d’un événement majeur de notre histoire nationale, Bourguiba revient dans les mémoires à travers des sentiments personnels pour certains ou à travers des discours de propos, soit ceux inconditionnellement propices au Leader du mouvement de libération et initiateur de l’État moderne, soit ceux critiques à son égard, jusqu’à un rejet haineux et une animosité dédaigneuse. 

Il faut croire aussi que le nombre des uns et des autres est relativement variable selon les circonstances, les rapports de force et les calculs opportunistes.
Mais il y a aussi la plus grande partie de la population pour laquelle Bourguiba est un symbole historique qu’il importe au moins d’évoquer avec un respect certain, quelles que soient les opinions qu’on peut avoir de sa personne, de son action et de sa vision des choses.
Dimanche dernier encore, ce 20 mars 2022 date de la fête de l’Indépendance nationale, Bourguiba a été massivement commenté, surtout sur les réseaux sociaux désormais les principaux canaux d’évacuation des humeurs citoyennes, essentiellement en rapport à l’allocution du Président de la RépubliqueKaïsSaïed, pour la circonstance.
Le commentaire de ce discours n’est pas l’objet de cette chronique, mais il sera celui d’un autre écrit.
Contentons-nous de dire qu’il serait juste et objectif de s’attarder à le lire avec les éléments clés de sa genèse rhétorique, intellectuelle et politique.
Quant à ce texte, il a pour intention d’évoquer le retour de Bourguiba à travers un film de Hichem Ben Ammar, « Bourguiba de retour », un documentaire d’une cinquantaine de minutes sorti en 2017, avec pour récit central la statue équestre du « Combattant suprême », ôtée puis rétablie à l’avenue Habib Bourguiba de la Capitale.
Dans un va-et-vient entre les dates repères, le film nous rappelle que la statue a été créée par l’artiste Hachemi Marzouk et a pris place, en 1978, dans un lieu précédemment dominé par celle de Jules Ferry, l’homme de l’occupation de la Tunisie par la France.
Elle en fut déboulonnée en 1988, à l’arrivée de Ben Ali, et déplacée dans un dépôt de La Goulette où elle est retrouvée plus de vingt ans plus tard avec une autre.
Les deux sont remises en état pat l’artiste Hachemi Marzouk et la première retrouvera sa place au centre de Tunis en mai 2016 par à une décision du président Béji Caïd Essebsi.Le film s’ouvre sur la Déclaration du 7 novembre 1987, lue par le nouveau président, Zinelabidine Ben Ali en arrière fond de l’image imposante de Bourguiba statufié à cheval sur un pur sang arabe.
Puis, c’est le spectacle de son déplacement à rebours de La Goulette à Tunis et sa réinstallation sur un piédestal jugé disproportionné par rapport aux dimensions de la statue, réduisant de ce fait sa visibilité et son impact. Le récit est entrecoupé par des séquences diverses, les unes à propos du personnage de Bourguiba et de son cheminement politique, les autres à propos de l’artiste H. Marzouk, auteur de la statue et, en quelque sorte, le troisième protagoniste du film avec Bourguiba et sa statue.
Le film est à tous points réussi et mérite d’être projeté et discuté à divers lieux et propos des rencontres culturelles pour la jeunesse. C’est un film sur l’art et le statut de l’artiste en rapport à la politique,sur la vie d’un artiste tunisien, sa fierté de son œuvre et son espoir de consécration pour la postérité.
C’est aussi un film sur la politique et son rapport à l’art en tant qu’expression du présent et que représentation symbolique de l’Histoire.
Ce qui importe dans ce film, c’est la mise en interaction des différents avis, souvent polémiques et divergents, des différentes générations et catégories sociales sur Bourguiba et sa statue, l’artiste ayant été oublié et non associé, bien que faisant partie de la foule, dans le paysage de la restauration de la statue.
Seul le réalisateur en a évoqué le souvenir et les sentiments contradictoires qu’il vivait au spectacle du retour de la statue. Intéressante à plus d’un propos la conduite parallèle, dans le film, du retour d’exil de Bourguiba, le 1er juin 1955 à La Goulette et la sortie de la statue de son exil du même lieu. C’est aussi à se demander si ces deux exils ne sont pas également un autre symbole de l’exil de l’artiste.C’est dire que, dans ce film, est dit le devoir de mémoire non pas pour la simple propagande ou pour le culte d’une personne, aussi importante soit-elle, mais pour la lumière à jeter sur le cours de l’Histoire et ses symboles en vue d’en tirer les enseignements à même d’édifier l’avenir. De ce point de vue, Bourguiba et son histoire, toute son histoire, restent un patrimoine on ne peut plus précieux par leurs aspects divers, un repère incontournable, mais aussi une source de fierté digne de la société tunisienne et de son peuple, symbolisée par le cheval qui, selon l’artiste, « est fier comme le peuple tunisien ».