Bouteflika, est-ce le mandat de trop ?


Par Boubaker Ben Fraj
Pour nous Tunisiens, suivre attentivement et comprendre ce qui se passe en Algérie, relève plus de la nécessité que de la curiosité de l’indiscret devant la porte entrouverte du voisin.
Il y va de notre stabilité, de notre sécurité et de notre besoin vital de vivre en paix, solidaires et en harmonie avec ce grand voisin de l’Ouest : pays avec lequel, nous partageons hormis la géographie et l’histoire et 1000 km de frontières, beaucoup d’enjeux, de risques et d’espérances. Espérances partagées par les deux peuples, mais, que les aléas de la politique et ses arcanes n’ont jamais fini de différer.
Si je me suis autorisé à rappeler ces lapalissades, c’est qu’en ce moment, l’Algérie politique parait en grande effervescence en raison des élections présidentielles prévues pour le 17 avril prochain. On y observe même depuis quelques semaines un bras de fer ouvert entre deux camps : d’un côté, les partisans de la candidature du président Abdelaziz Bouteflika pour un nouveau et quatrième mandat, et de l’autre, tous ceux qui s’y opposent fermement, et qui semblent être cette fois-ci nombreux et déterminés.
Ce dont on est maintenant sûrs, c’est que Bouteflika (77ans) est décidé à briguer un quatrième mandat à la tête du pays ; candidature dont il a légalement le droit selon la constitution promulguée en 2008 qui le lui permet.
Depuis le 22 février dernier, il l’a fait savoir par l’intermédiaire de son actuel premier ministre Abdelmalek Sellal ; et hier, il s’est déplacé lui-même au siège du conseil constitutionnel, pour déposer sa candidature dans les règles, dissipant du coup tous les doutes qui pouvaient encore planer.
Pourtant, il n y a pas si longtemps, le président Bouteflika avait fortement martelé dans son dernier discours public, prononcé dans la ville de Sétif en mai 2012, et en des termes on ne peut plus clairs, que « sa génération avait fait son temps »dixit Bouteflika ; laissant entendre qu’il fallait désormais laisser la place aux plus jeunes.
Sur le moment, tous les observateurs avaient pris cette déclaration solennelle pour un serment ; un engagement personnel irrévocable de la part de Bouteflika à céder le pouvoir, et la traduction d’une décision bien mûrie, de ne pas briguer un nouveau mandat.
Sauf qu’après la promesse de Sétif, le président Bouteflika, ne s’est plus publiquement adressé aux Algériens ; et au cours des deux années écoulée depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts : les événements qu’ont connus l’Algérie elle-même et ses deux voisins limitrophes : la Tunisie et la Libye, les chambardements survenus dans son environnement géopolitiques subsaharien au Mali et ailleurs, ajoutés aux conseils persuasifs d’un entourage intéressé, et d’autres raisons que la raison peut-être ignore, se sont conjugués pour amener Bouteflika à se considérer encore indispensable pour piloter le pays au cours des quatre années à venir, quitte à se rétracter par rapport à la parole donnée il y a moins de deux ans de quitter les commandes.
En fait, quoi qu’en disent ses détracteurs, et quels que soient l’ampleur et la complexité des problèmes auxquels l’Algérie fait aujourd’hui face, personne ne peut nier que Bouteflika a beaucoup fait pour son pays au cours des quinze années de son pouvoir.
Il fut, -et ce n’est pas la moindre de ses réalisations- l’artisan de la concorde nationale qui a mis fin à une décennie de guerre civile. Avec lui, l’Algérie a connu une relative stabilité politique en même temps que des progrès économiques soutenus, et une amélioration sensible du niveau de vie des Algériens. Et last but not least, avec Bouteflika, l’Algérie a repris son rôle de puissance régionale plutôt discrète mais influente dans son double environnement maghrébin et saharien.
Mais qu’est devenu Bouteflika aujourd’hui ?
Souvent en longs soins intensifs dans les hôpitaux parisiens où il séjourne par intermittence, ou bien en convalescence à l’abri de l’enceinte du palais Al-Mouradia d’Alger, les apparitions publiques ou télévisuelles de Bouteflika sont devenues de plus en plus rares. Lors des occasions obligées, il se laisse voir de manière furtive et trop mesurée ; profondément calé dans son fauteuil, la posture invariable, la mine livide, pensif et silencieux.
En un mot, celui qu’on voit aujourd’hui n’est plus que l’ombre de Bouteflika d’hier, connu pour être l’homme énergique, vif, loquace et toujours omniprésent. Chez les Tunisiens qui s’en souviennent, voir Bouteflika dans l’état où on le montre aujourd’hui, n’est pas sans évoquer les images de Bourguiba au cours des ultimes années de son pouvoir, atteint par la sénilité due à la vieillesse, avant qu’il ne fût déclaré médicalement inapte à continuer à assumer la direction du pays
Allons savoir pourquoi Bouteflika fait fi de la leçon de son voisin , et pour quelles raisons s’obstine-t-il, à se représenter pour un nouveau mandat en dépit de l’état de santé où il est, de la promesse donnée, et de l’opposition que sa décision rencontre de la part de larges courants de son peuple ?
La réponse à cette question n’est certes pas facile, compte tenu des conditions intérieures spécifiques à l’Algérie, et de l’équilibre un tant soit peu stabilisé par Bouteflika entre les principales forces en présence ; équilibre dans lequel, ni l’armée et ses puissants services de renseignements, ni le Front de libération nationale(FLN), ni l’entourage personnel du Président, ne semblent prêts à céder leurs parts respectives du pouvoir - et des avantages substantiels qu’ils en tirent - ou d’être réduits avec un autre que Bouteflika , à des rôles de figuration ou de subordination.
Ces jours-ci, on assiste dans les places et les universités d’Alger et d’autres villes de l’intérieur à une agitation qui risquer de monter en crescendo contre la candidature de Bouteflika, les réseaux sociaux en sont saturés, les partis tant de gauches qu’islamistes demandent le boycott pur et simple des urnes, plusieurs personnalités politiques et militaires majeures se sont clairement prononcées contre cette candidatures. Mais désormais les dés sont jetés, et Quid de l’état de santé de Bouteflika ? Ses partisans feront tout ce qui doit être fait au cours des prochaines semaines, pour que le score final des élections du 17 avril, soit aux neuf dixièmes des votants en faveur du même président.
Avec ce nouveau mandat pour Bouteflika, l’Algérie ira-t-elle mieux ?



