Ces groupuscules politiques bien en-deçà du rêve démocratique de la Tunisie.

Par Mansour Mhenni

Après une assez longue concentration sur « la famille destourienne » et les spéculations sur son regroupement et son errance, en rapport à des dates symboliques de son histoire politique et de l’histoire du pays, en attendant la commémoration du décès du Leader Habib Bourguiba, les feux médiatiques de toutes natures semblent se distraire au spectacle des frictions et des séductions qui animent les partis et les mouvances se disant de la « démocratie sociale ». 

D’aucuns pensent que Néjib Chebbi et Mustapha Ben Jaâfar sont définitivement « grillés », surtout qu’ils n’arrivent ni à se redresser des échecs subis ni à renouveler leurs partis : le premier continuant de parier sur son frère comme hériter, le second ne trouvant pas (ou ne cherchant pas) de figure crédible pour prendre le témoin et assurer le relai. Du coup, Maya Jribi, qui aurait beaucoup apporté à son parti, sur tous les plans, donne aux observateurs l’allure d’une énergie et d’une ambition largement entamées par les déboires d’un parcours politique mal géré au temps propice. De son côté Zied Dahmani, sans doute le mieux placé pour une éventuelle relève, il doit être si intelligemment conscient des jeux et des enjeux internes qu’il préfère profiter de son statut de député unique du parti pour gérer son parcours en attendant une meilleure opportunité.

Quant au président à vie d’Ettakattol, au vu de ses dernières déclarations au moins, il ne lui resterait qu’à se retourner contre Ennahdha pour l’accuser d’avoir favorisé la prolifération du terrorisme, oubliant qu’il était sourd comme une pierre et aveugle comme une nuit  d’hiver quand il était le complice de ce parti alors que tout le monde lui soulignait la scandaleuse contradiction où il se mettait, dans la franche trahison des principes de base de son parti. Il lui resterait aussi le Nidaa auquel il reproche son propre défaut d’hier, en l’occurrence son alliance avec Ennahdha, et la trahison de ses promesses électorales, exactement comme avait fait Ettakattol avant lui.

Plus honnête paraîtrait la position de l’Alliance démocratique qui semble avoir pris conscience de sa juste dimension et qui se contente de marcher timidement à l’ombre de certaines mobilisations de circonstance. Cependant, plus intelligente peut-être serait la démarche du Courant démocratique qui aurait compris que les Abbou réunis n’auraient pas meilleur sort que les Chebbi réunis, et qui a changé de façade en changeant Mohamed Abbou et en modérant la mainmise du couple hégémonique sur un parti à peine en constitution réelle, au-delà de toute considération juridique.

Toutefois, le grand remue-ménage se passe aujourd’hui dans les restes du CPR, orphelin de son président fondateur, difficilement débarrassé de ceux qui passent déjà pour des arrivistes sans vergogne et des traîtres de leur famille politique. Ainsi le « Tayar » de Moncef Marzouki n’aura généré que des accusations de trahison et de « dysfonctionnement financier », disent les anciens frères, pour ne pas prononcer le mot « corruption » qui peut se transformer en une tempête emportant tout le navire du « Congrès Tayariste de la République » dans une déplorable tempête de la dissension, comme il arrive à tous les partis où manque la discipline et où domine le calcul personnel et la frénésie opportuniste.  

D’évidence, ce n’est pas avec ces groupuscules politiques, malgré certaines faveurs surprenantes des périodes de confusion, qu’on construit une vraie démocratie, car celle-ci ne saurait se réduire à des chamaillades de la rue ou de la place publique ni à une dispersion des énergies et une dissipation des efforts dans des commérages de conclaves des pleureuses.

La démocratie a besoin d’une autre conscience, dévouée et altruiste, et de compétences sûres et avisées. Elle a besoin de modestie et de relativisation des choses. Elle a besoin de gens capables de doute et d’interrogation, non d’entêtement et d’obstination. Elle a besoin d’un minimum d’ordre et de discipline. Néanmoins, elle n’est le lot exclusif de personne, tout comme la patrie appartient à tout le monde et son service est du droit et du devoir de tous ses enfants.

La démocratie a besoin aussi d’un Etat qui, loin de tout abus, sait regarder vers l’avenir avec des projets pour viatique et tient en main les rênes du bon fonctionnement des choses, dans l’esprit des lois et le respect des institutions.

Certes, le paysage actuel de la Tunisie n’est pas très rassurant, surtout du côté des acteurs politiques, personnes et formations confondues ; mais la société civile – vraiment civile – et la conscience citoyenne – sincèrement citoyenne – de la plupart des enfants de la patrie laissent vivace le feu de l’espoir et la lumière du salut. Tout en eux semble rappeler à ceux qui sont tentés par « la mémoire de l’oubli » que jamais ne réussira à durablement s’imposer en Tunisie celui qui n’est pas à la hauteur de la Tunisie.