Chronique : Bourguiba, toujours notre raison
Par Mansour M'henni
En avril dernier, j’ai donné le titre «Bourguiba, la raison, pour éclairer l’avenir », à une chronique circonstanciée par le 15ème anniversaire de la mort du « Combattant suprême ». J’espère ne pas importuner les intelligences par trop susceptibles en revenant à la charge aujourd’hui, pour le 112ème anniversaire du Zaïm, par un titre qui résonne comme un écho au premier : « Bourguiba, toujours notre raison ».
Il serait peut-être utile de rappeler que de n’avoir pas été dans le parti de Bourguiba, sous sa présidence, ne diminuait pas d’un brin, l’admiration que j’avais pour sa stature, le respect que je vouais à son intelligence, la fierté que je tirais de son combat et l’air d’espoir que je respirais de son projet. D’ailleurs si, plus tard, j’ai mis cinq ans pour rejoindre le parti de son successeur, c’est parce qu’à cette date, il m’a semblé que ce dernier continuait le projet du fondateur et cherchait à l’améliorer.
Indépendamment des évaluations différenciées qui peuvent être faites du parcours de chacun des premiers responsables politiques, les anciens comme les nouveaux, en attendant le juste verdict de l’Histoire, Bourguiba reste, aujourd’hui encore, non seulement un phare dans le concert des personnalités inoubliables, mais surtout la principale icône de notre rationalité, nous les Tunisiens au moins, pour ne pas étendre le champ de rayonnement à des zones géostratégiques plus étendues et plus composites.
Bourguiba est notre rationalité du passé dans la mesure où, contre toutes les tendances rétrogrades et fixistes, il a fait la synthèse de plus d’un siècle de réformisme arabo-musulman, en le confrontant à la pensée moderniste occidentale, surtout celle des Lumières, pour tracer la voie d’une exception tunisienne, vite devenue l’amer essentiel faisant signe à plusieurs peuples pour les prévenir contre les dérapages historiques et le dévergondage intellectuel. Quoi qu’on en dise, cela a valu à la Tunisie une indépendance dignement acquise, avec le moins de dégâts possibles et un Etat moderne solidement construit dans des délais records.
Bourguiba est notre rationalité du présent, d’abord par la gestion intelligente d’un événement qui aurait pu tourner à la catastrophe et au carnage, sous le label d’un printemps qu’on n’a pas vu fleurir. Reste la crise qui en est issue, malgré certaines combines qui sonnent comme des complots, malgré des malveillances qui résonnent comme des blocages ? A ce propos, force est de croire que le gros du peuple tunisien et de ses cadres ne lâcheront pas leur patrie et paieront gros, au besoin, pour la tirer d’affaire, justement, parce qu’ils sont, directement ou indirectement, les enfants de l’école bourguibienne et les porteurs de son esprit.
Bourguiba est notre rationalité de l’avenir parce qu’il continuera de valoir pour nous comme une expérience humaine qui a des qualités et des défauts, des réalisations et des insuffisances, des responsabilités bien assumées et d’autres fâcheusement ratées. Mais une expérience foncièrement de rationalité. La leçon sera donc de ne pas sacraliser le bourguibisme et de ne pas prophétiser Bourguiba. « Je suis homme et rien d’humain ne m’est étranger », dirait l’autre ! Plutôt faire de l’histoire bourguibienne un livre ouvert à même d’inspirer nos stratégies futures.
Dans cet ordre d’idées, je crois que le moment est venu de réaliser, avec la rationalité qu’il faut si l’on ne veut pas trahir Bourguiba, un regroupement des inspirations bourguibiennes, à droite comme à gauche, mais toujours en adjacence avec le centre, voire même en fusion avec lui. Et toujours dans le respect des autres sensibilités politiques, tant qu’elles sont inscrites dans la logique du respect de la différence et des valeurs humanistes. Ces inspirations bourguibiennes, toutes différentes qu’elles paraissent, puisent dans un fonds commun, celui du réformisme tunisien intelligemment synthétisé et fonctionnalisé par Bourguiba, et condensent deux siècles de modernité arabo-musulmane dont il serait dommage de perdre la cohérence et l’esprit de renouveau.
L’assise est là pour cela, le cadre aussi, les conditions et les compétences également. Ne reste que la bonne volonté qui se doit et, de la part de chacun, un détachement certain à l’égardde l’égoïsme douteux et du narcissisme outrecuidant.
