Chronique : Ce Nidaa qui paraît perdre sa voie(x) !
Mansour M’henni
Cela fait longtemps que Nidaa Tounès n’a pas autant occupé les devants de la scène politique nationale que ces derniers jours ;
mais cette fois avec une note d’amertume et un sentiment de frustration, partagés par les militants de base du parti et par plusieurs citoyens, dans une sorte de surdité de ses responsables ressemblant à de l’inconscience ou au moins à de l’indifférence, ce qui reviendrait au même au sommet de la hiérarchie politique.
Ces cris et ces hurlements qui salivent les bouches des dirigeants du parti créent une telle cacophonie que ceux qui les écoutent ne peuvent percevoir la moindre cohérence d’un discours sensé et se demandent si le Nidaa a vraiment encore une voix, sa voix fondatrice qui avait conduit les premiers pas de sa voie jusqu’aux résultats électoraux qu’on connaît. Aujourd’hui, la menace de l’inconnu et de l’imprévisible est là, menaçant à la fois le parti et le pays, pendant que lesdits grands militants du Nidaa se caressent le narcissisme et se cajolent les ambitions.
Deux clans se disputent des positions de prestige ou d’intérêt pendant que la structure politique, qui leur a donné la raison de leur action et de leurs ambitions, met en spectacle sa pathétique dislocation sous le regard ambigu des observateurs, tous à l’affût du moindre morceau du corps géant en démantèlement. Le plus déplorable dans cela, parce que le plus ridicule aussi, c’est qu’on retrouve aujourd’hui, dans ce parti, presque tous les défauts contre lesquels on nous disait qu’il avait été fondé, jusque dans ces pratiques de violence perpétrée contre la différence, celle des milices ! Pour un peu, on aurait pu avoir un nouveau Lotfi Nagedh, molesté à mort, cette fois, par les siens et non par les LPR d’autres violences qui présageaient déjà du terrorisme désormais bien infiltré dans le corps physique et mental de notre pays.
Bref, d’un parti dans lequel beaucoup de Tunisiens, partisans ou non, avaient mis l’espoir d’un esprit civil, d’ouverture et de dialogue, de progrès et de démocratie, le Nidaa présente maintenant le fantôme d’autres ténèbres risquant de donner de fausses raisons à ses adversaires d’hier, fort heureux de brandir de nouveau un semblant de raison pour justifier certaines déraisons de leur ancienne politique, manifestement dépréciée par la majorité des Tunisiens.
Tant que les conflits internes prenaient publiquement l’aspect d’une divergence des opinions, on faisait un effort de croire que cela était un signe de bonne santé intellectuelle et politique sur la voie de la démocratie. Aujourd’hui, on est forcé de croire que ce n’était qu’indiscipline et indice de fragilité structurelle d’un parti trop tôt propulsé au sommet du scrutin pour pouvoir conduire, en chef, le convoi de la gouvernance vers l’idéal d’une société démocratique.
De fait, une scission à l’intérieur d’un parti n’est pas impossible. D’un certain point de vue et à certains moments de la mouvance conjoncturelle, elle serait même chose normale. Cependant, elle aussi a ses règles et sa manière.
Il est d’abord absurde et suicidaire qu’elle survienne à l’issue d’un succès et d’une lourde responsabilité assumée ou à assumer. Il est d’extrême arrogance aussi, car franchement insultant pour les partisans, qu’elle advienne juste pour satisfaire la folie de pouvoir que certains dirigeants sont incapables de contenir dans les limites de l’action et de l’ambition raisonnables. Ceux qui se pressent de comparer la division actuelle au sein du Nidaa à celle qui a consommé la rupture entre Thaalbi et Bourguiba se trompent totalement d’analyse et font absurdement infraction à la logique de l’Histoire.
Thaalbi et Bourguiba portaient et concrétisaient deux projets de société historiquement concurrents, jusque dans leur convergence stratégique, tandis que dans le Nidaa, on n’a même pas encore établi la plateforme intellectuelle de base, sur laquelle s’appuierait le partir pour baliser son chemin, que des egos ont surgi pour revendiquer des partages. Tous les arguments avancés au nom de la démocratie sont fallacieux, car la démocratie a aussi, a d’abord, dirais-je, une discipline à laquelle elle ne saurait déroger sans tomber en désuétude.
Il nous a paru nécessaire de souligner franchement cet avis, sans doute sévère pour certains. Mais, pour être un regard extérieur au parti, il n’en est pas moins un regard du centre de l’intérêt national. Le Nidaa n’est plus le parti de ses partisans seulement ; il est une composante essentielle de l’édification du nouveau destin de la Tunisie et en cela, son sort intéresse, et implique même, tous les Tunisiens.
Toutefois, le pire dans la situation, c’est que les sages de ce parti, ou prétendus tels, semblent impuissants à trouver l’issue et encore moins à l’imposer si elle se trouve. Eux aussi paraissent avoir tellement mal à la tête de ces bruits confus, fusant sur eux de toutes parts, qu’ils ne savent plus à quel saint se vouer et qu’ils ne reconnaissent plus la voie des Lumières.
Entretemps, c’est la Tunisie et son processus démocratique, dont on ne sait plus s’il est en convalescence ou en rechute, qui risquent de se perdre dans le labyrinthe ténébreux de l’Histoire des temps sans repères.
