Chronique : Faut-il sonner le tocsin pour l’Ukraine ?
Tout récemment encore, nous nous demandions si la Syrie n’allait pas relancer la guerre froide entre l’Amérique et la Russie. Aujourd’hui l’Ukraine peut nous ramener à la même question. Pourtant, à y voir de plus près, la nouvelle guerre froide chauffait déjà depuis des années, depuis qu’une certaine conscience anti-mondialiste avait prévenu de l’intention américaine de mettre la main sur le monde, de commander la distribution des forces et des lieux d’influence et de ramener vers elle les dividendes de toutes les opérations y afférentes.
Evidemment, face à cette perception de la police mondiale, il y a aussi une autre présentation des choses : celle de la défense de la démocratie contre les dictatures de toutes natures et de la protection des droits humains contre la barbarie et l’oppression des libertés. Bref, c’est l’éternel conflit entre le diable et le bon dieu, même si, selon les situations, on est amené parfois à affubler l’un d’eux de la toge de l’autre. Vous pensez sans doute, comme moi, au célèbre titre de Jean-Paul Sartre ? Voici donc deux citations qui en sont tirées et qui mériteraient d’être cogitées pour la circonstance : « Je me moque du diable ! Il reçoit les âmes, mais ce n’est pas lui qui les damne » et « quand Dieu se tait, on peut lui faire dire ce que l’on veut ». A vous d’en tirer les conclusions qui vous conviennent !
Je disais donc que la guerre froide a bien lieu depuis un certain temps déjà, contrairement à toute conjugaison du futur, qui, comme un voeu prémonitoire, voudrait la réfuter, à la façon d’un célèbre titre de Jean Giraudoux qui avait bien écrit, dans les années trente du siècle dernier, La Guerre de Trois n’aura pas lieu, et qui n’a pas empêché ainsi la Seconde Guerre Mondiale d’occasionner les ravages que l’on sait. J’ai dû rappeler cela à un ami catastrophé qui m’a téléphoné samedi soir pour prévenir de la Quatrième Guerre Mondiale qui allait éclater au cours du week end.
En fait, à y voir de plus près, plus que la guerre froide, la guerre mondiale elle-même a-t-elle jamais cessé ? N’a-t-elle pas, selon les conjonctures et conformément à certaines évaluations des principaux rapports de force, alterné le chaud et le froid comme une succession de saisons, même si parfois le printemps peut devenir automne, ou carrément un hiver quasi-polaire ? Aurions-nous vite oublié la Guerre des Balkans, les Tempêtes en Irak, Les ouragans afghans, et plus près dans le temps, la Libye et la Syrie ? N’est-ce pas que, parfois, une guerre apparemment interne, sur un territoire trop exigu pour une grande famille, peut avoir tous les ingrédients d’un conflit international ? Voyez le Liban, depuis qu’on a voulu y faire échouer le modèle d’une coexistence pacifique et d’un beau vivre-ensemble entre les différences multiples ! Dites-moi si le Moyen-Orient n’est pas la torche allumée d’une guerre mondiale dont la menace pèse de tout son poids sur la conscience internationale, même si tout le monde sait fermement qu’elle n’aura peut-être jamais lieu, à la façon dont on l’imagine en référence à celles du siècle dernier.
Alors, qu’est-ce qui a changé avec l’Ukraine ? La manifestation par trop visible des deux colosses ? Ces déclarations menaçantes d’un côté pour essayer de parer au silence agissant de l’autre côté ? On en a vu d’autres : ceux que je viens d’évoquer et ceux qu’on pourrait évoquer encore. Tenez, la Géorgie, par exemple, en 2008. Aurions-nous oublié ?
Rassurez-vous donc, la Quatrième Guerre Mondiale ne pourra pas se déclencher parce qu’on y est depuis longtemps déjà, sans oser le croire. Parce que nous avons tendance aussi à oublier que « toutes les guerres sont impies », que « la violence est injuste d’où qu’elle vienne » et dans quelque lieu où elle puisse sévir. Parce que « le monde est iniquité ; si tu l’acceptes, tu es complice, si tu le changes, tu es bourreau » !
Cela fait peut-être trop de citations de Sartre, dont je ne suis guère un adepte, Le Diable et le bon dieu encore ! Et toujours ! Jusqu’au chaos final, sans doute ! « Lorsque Dieu héritera du monde et de ceux qui y vivent ».
En attendant, chacun fera son petit bonhomme de chemin : qui se terrant dans n’importe quel giron en ronronnant « après moi, le déluge » ! Et qui, comme le loup de Vigny, déclamant « Fais énergiquement ta longue et lourde tâche / Dans la voie où le sort a voulu t’appeler / Puis après comme moi, souffre et meurs sans parler ».
Albert Camus, cet alter ego de Sartre, dirait, comme son Docteur Rieux dans La Peste, un autre nom pour la guerre : « Il faut faire ce qu’il faut ». A votre avis, que faut-il faire pour l’Ukraine qui a ou n’a pas été fait pour les autres ?
Mansour M’henni.
