Chronique : La Libye brûle et nous suffoquons ! A la vie, à la mort !
Par Mansour Mhenni
La Libye brûle, il n’y a pas de doute là-dessus ! Elle brûlait déjà d’autres feux : le feu des armes fratricides au nom d’une révolution illusoire ; le feu des armes conquérantes au nom de la démocratie et des valeurs des droits de l’homme ; le feu d’une haine indescriptible qui pousse à se demander si l’homme se souvient encore, un tant soit peu, de son humanité.
Or, quand la Libye brûle, sa fumée et ses cendres vont droit dans le gosier et les poumons de la Tunisie : on en a fait l’expérience lors du gouvernement de Béji Caïd Essebsi, quand la plaie contractée à sa cheville frontalière a failli venir à bout de ses moyens. Elle n’en a pas moins gardé, sous sa fausse cicatrice, une invasion tumorale qui ne cesse de se manifester en diverses protubérances explosives déchiquetant de temps en temps des cellules vitales, de plus en plus nombreuses, de plus en plus préjudiciables à la santé sociale et au bon fonctionnement de l’Etat.
Aujourd’hui la Libye ne brûle plus seulement d’un feu virtuel qu’on serait tenté de prendre pour un artifice de langage. Elle brûle de l’incinération de sa richesse sur fond de guerre fratricide. Elle brûle de l’incendie des trésors qui la faisaient vivre contre tous et malgré tout. Pire encore, le feu qui anéantit sa richesse pétrolière a de fâcheuses conséquences collatérales sur l’environnement naturel et psychique, sur les mouvements économiques et sociaux, sur les enjeux géostratégiques et les stratégies de manipulation et d’exploitation.
Puis, comme attendu, quand il ne restera rien à détruire en Libye, les forces de ravage se tourneront d’abord vers la Tunisie que des groupes d’avant-garde sont déjà en train d’entamer ses structures, son état d’esprit et la cohérence de son système, afin de mieux atteindre l’Algérie. De quoi se demander si la Tunisie, toute la Tunisie, est en train de faire ce qu’il faut pour endiguer le danger imminent qui a déjà traversé ses portes et qui cherche àla déshumaniser intégralement.
Rien qu’au premier degré, les risques environnementaux ne sauraient s’interdire de franchir les frontières territoriales de la Libye : une vraie catastrophe écologique peut résulter des incendies pétroliers. On en est au second mais on n’est pas sûr d’en rester là. C’est dire que l’appel à une intervention étrangère peut logiquement se comprendre ! Cependant, qui sera appelé au secours ? Ceux-là même qui sont venus d’eux-mêmes déclencher le nettoyage par le vide dans un pays qui n’est pas de moindre importance stratégique dans une région où la moindre secousse quelque part peut ébranler toute sa carte ?
Force est de croire qu’il y a vraiment péril en la demeure, du fait que les micro-conflits territoriaux s’avèrent de plus en plus comme des laboratoires à fonctions convenablement réparties dans la conduite d’un macro-conflit où se jouent le destin du monde et le leadership international. Du coup, les peuples de la région ne sont plus que les souris de ces laboratoires et leurs dirigeants des fonctionnaires à la solde de l’un ou l’autre des adversaires du conflit. Les uns sont faits pour brûler, les autres pour mourir asphyxiés. Seul restera le pouvoir impérial qui vaincra et qui façonnera le tout à sa guise et selon ses intérêts.
Est-ce à dire que tout est perdu et qu’il n’y a rien à faire ? Oui tant que les peuples se laisseront soumettre à la règle du jeu établi ! Oui tant que les citoyens ne sauront pas quand il leur faut obéir aux décideurs et quand il leur faut leur dire non ! Oui tant que les populations se laisseront berner par des mots creux, perdant alors conscience de l’essentiel, du concret et du tangible.
Mais si la raison de vie s’associe chez eux à la volonté de vivre, les peuples de la région peuvent reprendre en main leur destin et lui commander l’avenir qu’ils veulent pour eux et pour leurs descendants. De ce point de vue, le cas de la Libye est la grande épreuve pour tous les pays et les peuples de la région, leur baptême du feu. Ils décideront de son issue ou ils suffoqueront dans son insoutenable fumée jusqu’à mourir asphyxiés avant que le feu ne vienne à bout des leurs derniers résistants.
C’est dire que Néron n’est pas mort, il est au bout de chaque rue, pire encore, il est sans doute un peu en chacun de nous. Mais en nous aussi survit Elyssa et sa valeur symbolique, et rien que cela pourra encore nous sauver.
