Chronique : Le drame de Sousse, notre nouvelle conscience

Par Mansour Mhenni

Sousse, la Perle du Sahel, au nombril du littoral tunisien, vient d’être souillée par le sang de la félonie sauvage et de l’inconscience barbare, comme dans un acte de viol meurtrier. C’est son entrain jovial qui est soudain attristé, sa beauté rayonnante subitement ternie et sa bonhomie accueillante tout à coup compromise auprès de ceux qui, avec grande désolation, ne peuvent se passer du rêve d’y venir déguster un moment de bonheur ineffable ou retrouver des souvenirs indélébiles.

A tous points de vue, Sousse est une représentation de la Tunisie à plus petite échelle ; un esprit médian de tolérance très humaine, une propension à la joie de vivre et à l’ambition d’un avenir meilleur, une conscience affinée du rôle essentiel de l’art et de  la culture, une ouverture béate sur la mer comme un chant de liberté, bref tout ce qui peut inspirer le sentiment que la vie vaut bien la peine d’être vécue. Même avec certaines horreurs qui assombrissent parfois quelques petits tronçons du parcours.
Le drame de Sousse aujourd’hui est donc notre drame à tous, nous Tunisiens, d’abord en rapport à notre devoir d’hospitalité à l’égard de nos frères en humanités, ensuite en rapport à la dynamique de vie que nous cherchions à retrouver au-delà des déboires et des péripéties de notre histoire récente. Cependant, plus que le drame du constat de notre impuissance, il devrait être plutôt le drame de notre irresponsabilité et de notre inconscience. Je dis « nous », ici, pour prendre part, comme tous mes concitoyens, mais chacun à sa mesure et à la mesure de ses moyens, au manquement à un quelconque devoir d’action ou à une moindre participation à l’entreprise de lutte contre l’obscurantisme et l’extrémisme, qui sont les principaux foyers du terrorisme.
Je veux bien admettre, avec une distance critique cependant, que certains concitoyens, malheureusement des responsables politiques pour la plupart, se déresponsabilisent en accusant plus d’un demi-siècle d’histoire de la Tunisie indépendante d’avoir implanté le terrorisme dans notre société. Ce n’est sans doute pas le temps d’en débattre, mais les faits ne peuvent appuyer cette vision des choses, trop politisée pour être objective. Il suffirait de comparer les proportions relatives aux actes considérés, ainsi que les auteurs attestés des actes terroristes d’hier et ceux d’aujourd’hui avec au moins une interrogation objective sur les liens entre les uns et les autres.
A ce titre, en errant dans les méandres lugubres des réseaux sociaux où semblent se réfugier les bonnes et simples gens pour crier leur révolte impuissante, je m’arrête souvent à des commentaires par trop sensés, mais très peu écoutés, là où il le faudrait, chaque commentaire étant accompagné de son auteur (que je me garde de nommer) : « C’est moi qui ai pris la décision de ne pas arrêter Abu Iyadh dans la mosquée Al-Fath » ; « Il n’y a à Chaambi que des sportifs qui s’entraînent » ; « Les salafistes, c’est un épouvantail, il n’y a pas d’organisation du nom de Ansar Ach-Chariaa » ; « J’ai de la sympathie pour les salafistes et les événements de Chaambi sont forgés de toutes pièces » ; « Les salafistes annoncent une nouvelle culture et ne menacent pas la sécurité générale » ; « Les salafistes sont nos enfants et les enfants de notre peuple, ils ne sont pas venus d’une autre planète » ; « Les salafistes sont nos enfants et nos partenaires dans la révolution, hier, aujourd’hui et demain » ; « Si vous avez 50 mille agents de sécurité, nous avons 100 mille kamikazes ». Sans parler d’autres accueils honorant les salafistes dans le siège de l’instance suprême du pouvoir exécutif.
Sans doute les concitoyens des réseaux sociaux veulent-ils rappeler des situations et despropos dont il importe de tirer les leçons qui se doivent, avant toute intention d’imputabilité des auteurs de ces citations. Or il semble que cela ne soit pas le cas à la lumière des déclarations de certains activistes politiques et même de certaines complaisances de la part de quelques médias et de leurs animateurs.
Le drame de Sousse sonne l’alarme d’un fléau contre lequel nous devons tous nous mobiliser, au-delà de toutes nos différences et nos divergences,de nos intérêtset leurs calculs restreints et spécifiques, de nos croyances et nos idéologies. C’est la guerre, mes concitoyens, et en temps de guerre, la politique perd ses frontières.
Voilà, bien que souvent esquissée mais pas encore promue en une vision consensuelle et pratique,la nouvelle conscience qui nous doit venir du terrible drame de Sousse. Sachons donc faire d’un malheur circonstanciel une opportunité constructive pour l’avenir. Ce sera la preuve de notre patriotisme et de notre engagement pour notre chère Tunisie.
J’ai même envie de dire : En dehors de cette option, il n’y a point de tunisianité !