Chronique : Le Pouvoir corrompt, l’opposition aussi

Par Mansour M’henni

 Faut-il se résigner à croire que la société tunisienne n’est pas prête pour la démocratie, y compris ses intellectuels et ses ténors de la nouvelle politique ? Ce serait triste d’y arriver, même si des discussions de plus en plus fréquentes, de plus en plus soulignées, sont marquées d’un tiraillement douloureux entre la déception caractérisée, et l’espoir incorruptible, assombri par une forte dose de scepticisme.

 Avec cette nouvelle aliénation que j’ai attrapée, comme plusieurs autres de mon genre, depuis 2011 de me brancher systématiquement sur face book, dès que je suis devant mon ordinateur, pour mesurer un peu le degré de fièvre qui s’empare de chacun, à tous propos, chauffant les commentaires et variant les couleurs, il m’arrive de m’attarder plus longuement sur les débats politiques quand ils sont débroussaillés des insultes et des vulgarités, autrement dit quand ils sont entretenus par des personnes intelligentes et respectables, malgré (ou peut-être grâce à) leurs divergences.

 La dernière discussion qui a retenu mon attention est le produit d’intellectuels de gauche, tous aussi crédibles et aussi patriotes ; certains d’entre eux sont pour moi de grands et bons amis, au-delà de tout ce qui pourrait éloigner, et d’autres sont de ma compagnie lointaine, par médias interposés. Cette discussion porte sur la gauche et la démocratie (plutôt que la gauche démocratique, qui ne l’est pas toujours et qui n’existerait même plus, selon certaines évaluations), sur Mehdi Jomaa dans la stratégie de positionnement de la gauche et sur les coalitions électorales dans ses plans à venir.

 Comme l’art est long et le temps est court, je vous donne en bref ce que j’en ai retenu :

La gauche a toujours manqué les rendez-vous que l’Histoire lui avait offerts, par idéologisme inconditionnel et par manque de clairvoyance. Aujourd’hui, elle est plus que jamais dans le même aveuglement par opportunisme partisan et par l’égoïsme et la fatuité de ses hommes. Au résultat, un démantèlement de la gauche qui fait l’affaire de son principal « ennemi, qui est un danger pour le pays », le mouvement islamiste.  

 Ennahdha fait tout pour faire échouer le gouvernement de Mehdi Jomaa, afin de ne pas laisser voir un quelconque succès à même de trop dévaloriser la période de gouvernement qui était à la charge de ce mouvement. Mais que fait la gauche pour contrer cette combine ? Au contraire, certains politiciens de gauche, naïfs ou manipulés, seraient en train de colporter des mensonges « fuités » par Ennahdha contre certains alliés objectivement possibles dans une perspective de mobilisation générale : « Tous unis contre le Monstre ». Que dire alors de ceux qui, au nom d’une autre opposition, elle aussi de gauche, seraient soupçonnés de fomenter la contestation contre le gouvernement et même le blocage de ses actions.

 Au final, tous les partenaires du débat sont d’accord sur la nécessité objective d’une coalition électorale la plus large possible pour contrer Ennahdha et l’empêcher de revenir au pouvoir ; mais tous se demandent comment faire avec ces politiciens de tous bords de l‘opposition, qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez. Au point que l’un d’entre eux conclut : « Le pouvoir corrompt ; l’opposition aussi ! ». Et l’autre de lui répondre : « Mais l’opposition, c’est aussi le pouvoir ! ».

Certes, deux phrases à méditer longuement, pendant que le mouvement Ennahdha s’affaire sur tous les plans pour les prochaines élections. A la fin, c’est à qui dira à l’autre : « Bonjour, joyeux réveil de ton (mal)heureux sommeil ».