Chronique : Mon Islam, c’est moi, et c’est tout dire

Par Mansour M’HENNI

Quand je l’avais rencontré, il sortait de la mosquée ; il n’arrêtait pas de répéter : « Allotf ! Allotf ! Ya Latif oltof bina » (Indulgence ! Indulgence ! Ô Grand Indulgent, prodigue-nous ton Indulgence !). J’interroge Sadock sur les raisons de son affolement et il me répond :

« J’avoue ne pas avoir les mots justes pour dire l’absurdité qui me frappe au visage devant l’insoutenable inhumanité de certains comportements des hommes, surtout quand ces comportements, dont le pire me paraît être la décapitation de Peter Kassig, se font au nom d’un système de valeurs dont je me reconnais.

Non que la victime américaine soit plus importante que le millier de décapités par l’Etat Islamique, parmi le peuple syrien, ou que toutes les autres victimes occidentales, sauvagement exécutées pour une raison dont ils ne comprenaient pas la déraison. Juste que le cas de Peter Kassing met un système étrange (sans doute étranger aussi à la communauté des hommes) au point culminant de ses contradictions et au centre de la configuration la plus atroce de son horreur.

Tu sais, toi, que je me considère un bon musulman, Icha-Allah, de par la foi que j’ai en Dieu et en moi-même, dans ma relation intime à Dieu et dans l’intelligence et la connaissance dont je crois disposer assez pour me faire ma propre lecture de son message et pour assumer, devant lui seul, la responsabilité de cette lecture.

J’appelle cela « Mon Islam » parce que dans son essence spirituelle, l’Islam me paraît consister en une communion personnelle entre l’être humain et son Dieu, sinon la religion de Mohammed n’aurait pas supprimé le clergé et toute intermédiaire entre le Créateur et les vivants. De ce fait, je m’explique mal la dénomination « Etat Islamique » que l’Occident, et nous après lui, collons aux terroristes de Daesh, sans réserve ni précaution. Y aurait-il là une quelconque intention de les distinguer des islamistes ? Fallait-il alors, pour cela, les confondre avec l’islamité ? C’est grave et c’est intolérable ! Non, Daesh n’est pas un Etat Islamique et c’est une forme de complicité coupable que d’accepter cette dénomination sans l’ombre d’un étonnement.

Non et non ! Je crois avoir une foi islamique et en ce nom, je me refuse à m’accommoder de la désignation « Etat Islamique » pour des assassins et des terroristes qui ne se contentent pas de tuer, mais qui le font de la pire et de la plus atroce des manières. Il suffit de revoir le chemin qui a conduit Peter Kassing vers sa mort prématurée pour s’en rendre compte.

Voilà un soldat américain qui quitte très tôt l’armée de son pays pour s’engager dans l’humanitaire, en fondant à 24 ans (en 2012) la Special Emergency Response and Assistance (Sera). Un seul objectif : soulager les souffrances des populations syriennes dont le spectacle a transformé ses vacances au Liban en un besoin d’engagement.

Plus encore, il se convertit à l’Islam dans lequel il a sans doute trouvé un fond moral qui coïncide avec son éthique d’humanité et son élan de solidarité. Il se choisit le prénom qui colle le mieux à cette logique : Abdul-Rahman, l’esclave du Clément.

Enlevé le 1er octobre 2013, le jeune homme de 26 ans est décapité par ceux qui prétendent punir son pays des représailles aux frappes aériennes menées en Syrie et en Irak. Le punir, lui, qui a quitté l’armée pour ne pas tuer et qui s’est engagé dans l’humanitaire pour essayer de sauver ! Et vous dites que ces gens ont quelque chose à voir avec le Clément et le Miséricordieux ? Et avec l’Islam ?

Non et mille fois non ! Je préfère de loin ma foi solitaire qui me permet de communier avec Dieu, dans la profondeur de ma conscience et l’intimité de ma foi, et d’essayer, autant que faire se peut, de me rendre utile et solidaire à tout effort de tolérance et d’humanité. Tout islamisme d’une autre facture idéologique me restera étranger.
Mon Islam, c’est moi, et c’est tout dire. »