Comme le racisme, le terrorisme commence au coin de la rue

Par Mansour M’henni 

Tout le monde semble se plaindre du fléau du terrorisme et se débat à lui chercher le traitement convenable, faute de s’être efficacement vacciné contre ses effets ravageurs. 

Aujourd’hui, chez nous d’abord, un temps d’analyse et d’évaluation objective s’impose, en dehors de toute passion et loin des tiraillements politiques qu’une telle menace fomente. Car à trop rejeter la responsabilité sur autrui, on risque de ne jamais prendre conscience de la part qu’on y a et alors de rater, par aveuglement, l’entrée conduisant au moins vers un début de solution.

La polémique actuelle, qui n’a rien d’une vraie discussion dans l’esprit conversationnel, tourne autour des solutions d’urgence pour faire face au retour de ceux qui étaient engagés dans les grands foyers de la violence daéchiste. Le conflit est de principe et de définition des concepts : ces meurtriers invétérés sont-ils encore tunisiens et donc sont-ils toujours nos concitoyens, après ce qu’ils ont fait et devant la grande menace qu’ils constituent ? On retombe alors dans l’éternelle opposition entre la légalité et la légitimité, celle-là même qui réapparaît à chaque conflit politique radical.

Les instances juridiques, dans leur croisement des institutions politiques et des intérêts de toutes sortes, finiront bien par trouver un cadre entendu pour gérer cette question, à la faveur des rapports des forces. Ce qui nous intéresserait cependant, c’est de penser le problème en termes éthiques, à l’essence même de l’humanité de l’homme, et de la dualité fondamentale qui le commande et qui est différemment configurée selon les civilisations et les époques : Eros et Thanatos, Bien et Mal, Positif et Négatif, Noir et Blanc, Diable et Bon Dieu, etc.

Ce qui importerait sans doute, c’est d’interroger les raisons qui font qu’un être humain, ainsi né de ses parents, finisse dans un tel état d’atrocité que tout son intérêt réside et se condense dans l’irrespect des fondements même de l’humanité. Dieu, la religion, la Cause, etc., tout cela n’est en vérité que prétexte à la convergence et la concentration de toutes ses impulsions de violence dans une façon d’être par laquelle il croit donner un sens à sa vie.

De quelque façon qu’on retourne la question, on retrouve toujours la société au centre et à la périphérie de la responsabilité de génération de ces produits contre-nature. Cela me rappelle la phrase de Claude Roy à propos du racisme, cet autre fléau dont on commence à percevoir certaines manifestations, chez nous qui croyions en avoir été définitivement guéris : «Le racisme commence au coin de la rue. Il commence quelquefois au .coin de nos pensées, quand nous n'y prenons pas garde, au détour de nos paroles, quand nous ne nous écoutons pas parler, au fil de sentiments, quand nous n'en sommes pas conscients. » 

De ce point de vue, nous devrions peut-être repenser notre façon d’être à autrui avec l’incontournable question : « Ai-je vraiment agi avec lui dans le respect de l’altérité et des valeurs qui consacrent ce respect ? ». Voyons les lieux de nos débats politiques, surtout dans les médias, n’y a-t-il pas les vrais germes du terrorisme par la parole, et parfois plus que la parole. Voyons certains dérapages de nos comportements, apparemment anodins, et cherchons à y retrouver les signes de l’intolérance et de l’exclusion ! Voyons comment certains de nos juristes et nos défenseurs des droits font du « deux poids deux mesures », sans se soucier des sentiments d’injustice et de frustration que cela laisserait chez d’autres concitoyens ! On se rendrait peut-être compte que nous ne sommes pas exempts, tous autant que nous sommes, d’une quelconque part de responsabilité dans tous les malheurs qui nous arrivent, y compris le terrorisme.

Pour conclure, je réfèrerais encore à Claude Roy dans la même texte déjà cité, en demandant à mes concitoyens à quoi nous serviraient tous les discours et toutes les gesticulations contre le terrorisme si cet antiterrorisme « consistait seulement à flétrir l'antiterrorisme à l'étranger, et si nous réinventions une sorte de terrorisme inconscient à l'intérieur de l'antiterrorisme, qui consisterait à condamner le crime du terrorisme chez les autres, et à ne pas l'apercevoir chez soi, ou en soi ».