De l’amour comme éthique du vivre-ensemble

Par Mansour Mhenni 

Il n’est sans doute pas erroné d’affirmer que tout ce qui se dit, s’écrit, s’exprime ou se décrit relève de deux thèmes essentiels, ceux de l’amour et de la mort. Cependant, si la mort est une fatalité avec laquelle on ne peut que s’accommoder, chacun à sa façon d’être ou de faire, l’amour est une culture dont chacun assume la responsabilité, à la manière dont il choisit de s’inscrire dans la vie avec autrui.

De par cette différence fondamentale entre les deux thèmes, pourtant complémentaires pour donner sens à l’existence, le cérémonial de la mort porte la couleur du deuil et signifie surtout la douleur de la séparation, tandis que le cérémonial de l’amour se veut porteur d’un message de joie, de fécondité et de bonheur partagé, tel le cas de la Saint-Valentin, par exemple.

Celle-ci serait, pour certains, d’origine anglaise, au Moyen-Âge, alors que d’autres la font remonter à une symbolique romaine évoquant la fertilité et la fécondité. Pour les uns, c’est une fête religieuse et pour d’autres, le plus important est qu’elle est désormais de nature civile et universelle. On se souvient même, il n’y a pas longtemps, qu’ici même, dans notre pays, d’aucuns ont cherché à diaboliser ceux qui la fêtaient, les accusant de tous les torts, voire même d’apostasie.

N’empêche qu’une grande partie des Tunisiens, peut-être même une majorité confortable, s’est attachée à cette fête comme on s’attache à l’espoir, par instinct de vie, et à l’amour comme générateur de bonheur. Cette année, les médias ont retrouvé plus explicitement leur joie de cette fête et l’ont affirmée comme une revendication du désir de vie contre les menaces de mort qui clignotent de tous bords.

En soi, cet indice est heureux parce qu’il indique que le Tunisien n’est pas prêt à renoncer à la joie de vivre dans son pays et qu’il s’engage, au contraire, à défendre cette façon d’être et d’agir dans son implication et sa responsabilité citoyennes. Toutefois, cette lueur de positivité qui cherche à éclairer nos pas tâtonnants vers l’avenir doit être doublée d’une autre éthique fondamentale sans laquelle une fête comme celle du 14 février resterait de l’ordre de l’anecdotique. C’est l’éthique qui transforme la fête des amoureux en une fête de l’amour.

En effet, qu’on le dise ou non, qu’on le veuille ou pas, la fête des amoureux peut être lue comme une forme de cloisonnement dans la logique du couple et quelque peu dans « l’amour égoïste ». Or celui-ci, on le sait, ne manque pas de ramifications négatives qui auraient pour noms : possessivité, suspicion, jalousie, vengeance, etc.

Mais la fête de l’Amour ouvre le champ de ce sentiment à ses configurations plurielles, surtout celles qui lui donneraient les sens du don de soi, du respect, de l’altruisme, du dévouement, du partage, de la solidarité, de la compréhension, de l’esprit de conversation, etc. Ce champ s’étend alors à tout le tissu social et même à sa dimension universelle qui a pour nom « Humanité ».

Que chacun en soi, dans une profonde conversation intérieure, essaie de se demander ce qu’un tel amour peut changer dans les rapports entre les êtres humains, quelle que soit la structure à laquelle ils appartiennent, depuis le plus petit nid familial jusqu’à l’immensité humaine.

J’entends déjà dire l’éternelle remarque qui crève les roues de tout voyage : « Utopie ! Idéalisme de poète ! » Et alors ? Qu’est-ce qu’on perdrait à essayer ? Et depuis quand l’idéal et le rêve sont-ils devenus des obstacles devant les grandes et bonnes réalisations de la gent humaine ?! Souvenons-nous : le poète est un peu prophète et tout vrai prophète ne peut pas dire autre chose que : « Tu aimeras ton prochain comme tu t’aimeras toi-même ».