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De l’originalité d’un nouveau livre. Gribouillage et imaginaire d'enfant


Par Mansour M’henni
Quelques mois après le décès précoce de leur fils alors qu’il n’avait encore que 25 et qu’il poursuivait normalement ses études d’ingénieur, deux amis et collègues marocains m’ont fait l’amitié de me charger de la coordination d’un volume collectif à la mémoire du défunt, que j’avais connu de près, dans une affection quasi-paternelle. Jusque-là, rien de particulier !
Mais le plus attrayant dans l’opération, et le plus intéressant aussi, c’est qu’elle concevait le livre sur l’assemblage d’articles académiques ou de création, inspirés de dizaines de dessins que Jad Tenkoul avait gribouillés entre l’âge de quatre à huit ans. L’entreprise était aussi noble qu’intelligente car l’objectif qui lui était sous-jacent cherchait à substituer la valeur de la vie, ne serait-ce que par une forme de survie, à la réalité implacable de la mort. Mieux même, faire de la mort une des dynamiques de la vie, à partir de la plus petite trace qui resterait à la survenue de l’ultime départ.
En m’engageant dans la coordination de ce volume, j’ai rappelé en moi le souvenir d’une citation du psychologue Howard Gardner parlant de l’expérience d’un enfant de dix-huit mois qui réalisait ses premiers gribouillages : « Peu de gens seraient disposés à qualifier cette réalisation d’un terme plus honorifique que ʺgribouillageʺ, et, en vérité, ce terme est souvent utilisé – y compris par des éducateurs qui devraient avoir plus de bon sens – comme une expression de dénigrement. Mais [pour cet enfant], ce gribouillage représentait un exploit : c’est en effet ce que représentent de tels gribouillages pour un jeune enfant ».
Au-delà de cette approche psycho-sociale, j’ai actualisé les propos d’Edwige Chirouter qui, en professeur de philosophie, écrivit : « Il n’y a pas d’âge pour se poser des questions philosophiques et, dès l’âge de trois ans, face à l’étonnement devant le monde, les enfants se posent des questions insolubles et éternelles sur la vie, la mort, les relations humaines, la morale, la politique. L’enfant, en tant qu’enfant, en tant que regard neuf, naïf (mais non innocent), fait à chaque pas cette expérience originelle. » C’est dire qu’il y a chez l’enfant beaucoup d’intelligence, sensorielle et intellectuelle, que ce qu’on croirait qu’il ait et que de ce fait, les adultes ont sans doute beaucoup à apprendre des enfants.
N’y a-t-il pas là de quoi inverser dans nos têtes certains modèles préétablis pour l’organisation des êtres et des choses ? Ne trouverait-on pas là une raison de relativiser nos convictions et de réviser nos conceptions de l’éducation ? En effet, l’expérience de ce livre m’a convaincu que « notre façon d’être à nos enfants, et à l’enfance même, est peut-être analogue à notre perception de leurs gribouillages et de notre attention à leur imagination inventive [et que] toute l’éducation et les méthodes pédagogiques seraient à repenser à la lumière d’une nouvelle intelligence de ces produits légèrement considérés ».
Cet ensemble de lectures des dessins de Jad, intitulé « Gribouillage et imaginaire d’enfant », est le premier du genre au Maroc et, semble-t-il, dans le monde arabe ! Il porte entre ses pages l’espoir de voir la question gagner plus d’intérêt, d’autant plus que le gribouillage donne de plus en plus de preuve de son utilité même pour l’équilibre psychique des adultes. L’initiative est due aux universitaires Abderrahman Tenkoul et Farida Bouhassoune, ces parents qui ont trouvé raison contre le deuil, dans une entreprise originale qui pourrait nous mettre sur la voie des grandes questions de la condition d’humanité.


