Des raisons de la tension entre l’UGTT et le gouvernement


Par Mansour M’henni
Appelons un chat un chat, au moins pour une fois, en ce moment où nous transitons vers un Etat recouvrant sa constance et ses moyens, peut-être, et vers une dynamique de développement, affectée certes par quatre ans d’hémorragie mais prête à se redonner du sang par la faveur de la sueur dégagée à la tâche.
Appelons donc les choses par leurs noms et disons qu’il y a de la tension dans les rapports de l’UGTT au gouvernement « de compétences », une tension à peine contenue, donc susceptible de provoquer la rupture, à tout moment. Pour évaluer la situation et la commenter, il serait plus raisonnable d’éviter l’anecdotique et de se détourner d’explications qui mettent à l’origine de la tension une quelconque candidature à l’élection présidentielle, cela ne convient, nous semble-t-il, ni à la réputation militante de certains syndicalistes ni à l’intelligence responsable du président du gouvernement. Autant s’attarder sur l’essentiel qui se résumerait en quelques points précis dont voici peut-être les plus importants :
1 –Un premier contentieux pourrait venir d’un malentendu sur la tâche du gouvernement pendant le temps qui lui est imparti. Force est de constater que Mehdi Jomaa et son équipe ont péché parfois par hésitation devant les moyens et les objectifs de cette tâche, au point de la réduire à l’organisation des élections, comme si on était encore au point de départ, à la cacophonie et à l’anarchie qui ont poussé à recourir à l’expérience et à la personnalité de Béji Caïd Essebsi pour sortir le pays de l’impasse.
BCE l’avait fait malgré et contre tous les obstacles ; mais le contexte de Mehdi Jomaa n’est pas le même. Celui-ci avait, dès le part, un préjugé favorable et un appui soutenu ; il se situe à l’extérieur du cercle parfois violent des tiraillements politiques même s’il lui revient le rôle de dresser les barrières qu’il faut pour empêcher toute violence d’avoir des droits et de se propager, surtout celle du terrorisme qui nous coûta plusieurs vies humaines.
L’hésitation a prévalu devant une ambition déçue, sans doute, celle de procéder à une restructuration économique globale, car vite heurtée à une réticence de l’acteur social, durement exacerbé par une gouvernance qui mettait le poids de la crise sur le dos des couches sociales les plus fragiles, en l’occurrence la classe moyenne et la classe démunie.
2 – L’impact social
Du coup, c’est un gouvernement qui a été catalogué antisocial, accusé de tous les torts par certains partis politiques et certains syndicats allergiques à tout soupçon de libéralisme, même assoupli et adapté à une politique sociale réaliste.
En effet, ces acteurs politiques et civils ont vu le gouvernement Jomaaprocéder régulièrement à des augmentations successives des prix de plusieurs produits et à des déductions sur les salaires des fonctionnaires sans que cela transparaisse en termes d’atténuation évidente de la crise économique et sociale. L’ambiance est envenimée encore par des rumeurs de libéralisation de certaines entreprises publiques étroitement liées à la qualité de vie des citoyens, sans compter le chômage technique qui en résulterait. On condamne alors des décisions unilatérales prises par un gouvernement provisoire rompant avec le contrat tacite entre lui et ceux qui l’ont mis en place, les composants du Dialogue national dont l’UGTT est la pièce maîtresse. Affaiblir la classe des affiliés de l’UGTT, c’est mettre la centrale syndicale dans une contrainte qui l’empêche de souscrire aux choix discutables d’un gouvernement provisoire, même si elle est partie prenante dans son investiture.
3 – Pour défendre sa manière de faire, le gouvernement sort l’argument de la crise économique avec toutes ses incidences et se targue de prévoir, pour le prochain gouvernement, suffisamment de moyens financiers en réserve pour la mise en marche de sa machine de gouvernance, en attendant la mise en place, solide et assurée, des moyens de sa politique du mandat. La question reste cependant la suivante : indépendamment de cette bonne intention affirmée et réaffirmée (qui, pour certains, reste à vérifier), en léguant au prochain gouvernement un climat social électrifié et explosif, le gouvernement Jommaa ne serait-il pas en train de miner le terrain devant le prochain gouvernement, à bon ou à mauvais escient ?
Ainsi, quand l’UGTT cherche à boucler les négociations avant la fin de l’année 2014, c’est parce qu’elle considère ces négociations commefaisant partie des engagements de Mehdi Jomaa, surtout avec les décisions antisociales de son gouvernement, inadéquates au contexte et à la conjoncture qui affectent le niveau de vie de la plupart des Tunisiens.
Voilà des raisons qui justifieraient la tension entre l’UGTT et le gouvernement ; elles ne nous semblent relever d’aucune déraison.



