Chronique24/10/2024 à 09:23
Du rôle des intellectuels
Par Mansour M’henni
Un intellectuel, au sens large, se définirait certes comme un homme de savoir, mais aussi, mais surtout, dirais-je, comme un homme de culture et de citoyenneté. De ce fait, il est redevable d’un devoir de conscience qui lui dicte de vérifier régulièrement son degré de conformité à cette définition de l’intellectuel et de chercher surtout les voies insuffisamment explorées pour s’acquitter au mieux du rôle qui lui est éthiquement dévolu dans la société.
Ainsi perçu, le rôle de l’intellectuel ne devrait pas compter pour un gage de supériorité sur ses semblables, ses frères dans la citoyenneté, mais pour une compétence acquise à l’humilité et à la relativisation des vérités pour contribuer à l’édification d’une socialité conversationnelle, donnant à chacun le droit de parole et de contribution, de par le droit à l’intelligence que la société doit lui reconnaître même en situation de handicap ou de dérapage. Ce ne serait alors que dans des cas extrêmes, des cas d’incurabilité, qu’il serait permis de désespérer d’un être humain sans toutefois l’humilier.
Encore une fois, on me taxerait d’idéalisme par « déformation néo-brachylogique » et encore une fois je dirai que l’idéalisme est la principale porte vers un réel plus conforme à ce qui s’entend logiquement à travers le mot « humanité ». D’aucuns me diraient alors, comme le Tartuffe de Molièrequi, parodiant la citation de Terence le Carthaginois : « Je suis homme et rien d’humain ne m’est étranger », dit : « Ah! pour être dévot, je n'en suis pas moins homme" ! » : « Je suis homme et rien d’humain ne m’est étranger » ! Je le concède et c’est pourquoi je ne parle pas d’un état acquis ou inné de perfection, mais d’un effort continu à faire et d’une conscience à ne pas laisser sommeiller ou hypnotiser par des concessions incohérentes avec le devoir d’humanité.
Le plus désolant, à ce propos, c’est de constater, souvent même, que les moins portés sur cet esprit de contribution au meilleur vivre-ensemble sont des personnes comptées parmis les citoyens du savoir ou de la culture. C’est parmi eux qu’on voit se multiplier les coups bas cherchant obstruction à la réussite ou à la renommée d’un pair, juste pour laisser planer dans le milieu commun un air de médiocrité et une accoutumance à la banalité. C’est parmi eux qu’on voit agir, inhumainement, des réflexes de vengeance, entretenant la rancune, pour des conflits souvent imaginaires ou fabriqués de mille pièces quitte à se référer, pour s’en convaincre, à des proximités naturelles ou contextuelles entre des amis ou des collègues. C’est le recours à la fameuse logique ô combien aberrante de « l’ami de mon ennemi est mon ennemi » !
Notre société semble se conformer à la logique de la concurrence sauvage, autorisant tous les coups pour avoir le dessus sur l’autre : un dessus de supériorité, de domination, de commande, et ainsi de suite jusqu’à ce fameux dessus de l’esclavage. C’est comme si nous faisions de la concurrence la trace indélébile de notre instinct d’esclavagisme qu’on annule par des textes, par conformité au progrès, et qu’on fait perdurer dans notre pratique et nos réflexes.
Je crois qu’il y a une valeur plus saine, plus humaine, sans doute plus constructive aussi ; elle s’appelle « l’émulation ». L’émulation est une forme de compétition conversationnelle qui ne nuit pas à l’autre et qui est bénéfique à soi… et à la société. Les intellectuels le savent, il leur suffit de s’y conformer honnêtement et sincèrement.