Ennahdha et la question de la présidence

Par Mansour Mhenni
Finalement, le Conseil de la Choura d’Ennahdha a annoncé officiellement ce qui n’était qu’un secret de Polichinelle. On le devinait, on le savait logiquement dans la stricte stratégie d’Ennahdha, on l’a souvent écrit, ici même aussi : ce parti ne saurait, dans la conjoncture actuelle, briguer une présidence de la République. Tout au plus s’assurerait-il les moyens de contrôler suffisamment cette instance (d’aucuns diraient « de la manipuler ») pour qu’elle ne puisse constituer un obstacle au projet de société qu’elle compte instaurer à travers le Conseil du Peuple, par le biais de tout ce qui y est possible.

Le parti Ennahdha est ainsi gagnant sur tous les plans. D’abord auprès de l’opinion publique, par trop lassée de cette multiplication inconsciente des candidatures à la Présidentielle, Ennahdha va obtenir une bonification de rationalité auprès de certains électeurs, voire même de modestie des ambitions, en comparaison avec la convoitise du pouvoir par des politiciens « égoïstes, égocentriques et peu soucieux de l’intérêt de la patrie ».
Ennahdha bénéficiera d’un autre préjugé favorable, auprès des « partenaires » étrangers, partiellement gestionnaires de notre opinion publique et de nos orientations politiques. Ces derniers, peu soucieux du modèle de société à négocier à long terme, n’ont d’yeux que sur la conjoncture immédiate et sur le degré d’influence ou de compromis à obtenir, par anticipation, avec les gagnants prévus ou supposés des élections en vue. A l’intention de ces partenaires, Ennahdha envoie un message clair de son détachement de toute convoitise démesurée du pouvoir et de sa prédisposition aux coalitions souples qui peuvent même actualiser le sens du consensus.
Mais une autre plus-value à gagner par Ennahdha, c’est sûrement le maintien, chez certains partis de dimensions variées et d’impact modulable, d’une attitude de proximité intéressée et calculée au profit de leurs candidats respectifs à la présidentielle. De fait, il est peu probable qu’Ennahdha se prononce franchement pour un candidat plutôt que pour un autre à la Présidentielle. Le Mouvement maintiendra le flou jusqu’après les législatives. Une fois évolués les résultats et les déroulements de cette opération, Ennahdha prendra la décision qui conviendra à sa stratégie d’ensemble et à ses objectifs à courte, moyenne et longue échéances.
On se rend compte encore une fois que le cheminement d’Ennahdha est immuable quant à ses visées, même s’il paraît prendre parfois certains détours ou certains raccourcis. La question est peut-être de savoir si ses adversaires sont aussi cohérents dans leurs démarches et aussi fédérés dans leur ensemble  pour constituer un contrepoids crédible et assez pesant en vue d’un équilibre à même de donner au moins un petit espoir de démocratie.
Malheureusement, la conscience de démocratie chez les Tunisiens semble aller dans tous les sens, oubliant qu’une construction solide commence par des piliers tout aussi solides. C’est pourquoi de nombreux citoyens s’accrochent à l’ultime espoir de voir la mobilisation électorale se concentrer sur les trois pôles logiquement concevables comme trois projets politiques différenciés, en l’occurrence Ennahdha, le Nidaa et le Front populaire. Pour ces gens, la conjoncture devrait dissuader de toute option vers des listes indépendances, qui seraient toutes des pièges de la fausse démocratie. Du coup, chaque Tunisien devrait prendre position du côté de l’une des trois options dominantes.
Ainsi seulement s’enracineraient profondément les trois grands piliers du projet démocratique tunisien, d’ailleurs aussi bien pour les législatives que pour la présidentielle.
Reste à savoir si cette option finira par prendre dans la conviction « du vote utile » chez la plupart des Tunisiens. L’avenir proche nous le dira.