Jeux et enjeux de la réforme de l’école
Par Mansour M’henni
Voilà bien longtemps que l’on parle de la réforme de l’école et, semble-t-il, on se rend compte à chaque fois, assez tardivement, que chaque réforme a péché par certaines inadéquations mal appréhendées et certaines audaces mal calculées.
Sans doute alors, contre certaines positions rigides à ce propos, une nouvelle réforme qui se voudrait efficiente et intelligente devrait-elle partir d’une évaluation de toutes les réformes éducatives de la Tunisie indépendante, de manière scientifique, libérée de toute arrière-pensée idéologique, soucieuse seulement de la dimension pédagogique pour une conscience citoyenne.
Par ailleurs, dans la foulée des différentes tentatives d’orientation du pouvoir de décision, chaque intervenant cherche à se faire valoir comme le principal ayant droit à la vérité. Mais à la fin, il y a une force de décision qui finit par imposer sa vision des choses, au nom d’un intérêt général qu’on ne définit jamais assez. Ce ne serait alors pas une contrevérité de dire que c’est le pouvoir de l’État, personnalisé ou non, qui finit par trancher à sa façon et à sa convenance. La question est de savoir si, aujourd’hui, on peut réussir un cadre constructif riche des heurts et des bonheurs du passé et éclairé par les appels du futur et par le besoin de s’y préparer en s’adaptant à ses conditions.
A plusieurs reprises, il nous a été donné de réfléchir à la question, non pour essayer d’infléchir nécessairement toute idée différente mais pour participer à une vraie conversation à même de relativiser les convictions arrêtées au contact d’interrogations nouvelles, pour une réponse consensuelle certes, mais inéluctablement provisoire parce que tributaire du surgissement de « l’esprit nouveau », qu’il a été convenu d’appeler « modernité ».
Malheureusement, tout le bruit autour de la réforme en vue, aujourd’hui en Tunisie, et surtout de ce fameux « Conseil supérieur de l’éducation », résonne de l’agitation effrénée pour l’exercice d’un pouvoir aussi exclusif que possible. Le corporatisme professionnel, l’excès de politisation du militantisme syndical, la timidité du rôle familial, la précarité de l’implication associative, tout semble empêcher la concertation de se dérouler dans la sérénité nécessaire et dans l’éthique requise. Or une réforme de l’école est un projet civilisationnel et ce dernier ne se construit pas sur une plateforme incessamment fragilisée par les tiraillements des forces contradictoires.
Tout commencerait, nous paraît-il, par un accord sur les définitions des mots et les significations des concepts. Que doit-on entendre par « éduquer » et même par enseigner ? Est-ce un formatage des esprits pour le bachotage et l’imitation au nom de l’authenticité et de l’identité ? N’est-ce pas plutôt un entrainement à l’interrogation, toujours approfondie au contact des différents éléments de réponse qui s’esquissent à la lisière des questions. Un apprenant intelligent est un apprenant qui pense et non un apprenant qui imite. C’est finalement le projet d’un auto-apprenant.
Si cela est admis, il est impératif de doter tous les intervenants dans l’opération éducative de cet état d’esprit, toujours porté vers la question, par le besoin d’aller toujours plus loin dans l’approfondissement de la pensée. Oui, cela est censé être vrai pour tous les intervenants dans l’éducation : l’enseignant d’abord est appelé à remettre en question sa façon d’être à l’élève, avec l’élève, pour l’élève. Ce dernier est alors à penser et à projeter comme le meilleur citoyen possible dans une société du vivre-ensemble. Les parents aussi, les cadres administratifs, les structures impliquées dans la dynamique sociétale, tous ont à revoir leur leçon et à poser leur problème autrement.
Une fois cela creusé autant que nécessaire et suffisamment éclairé, cela qui relève de l’esprit de méthode, repenser l’école est alors assez engagé pour franchir le pont vers les questions des contenus. Celles-ci poseraient d’autres de problèmes, spécifiques certes aux matières enseignées, mais assez en cohérence avec l’ensemble pour laisser entrevoir le bel édifice en construction.
