L'équation libanaise


Pr. Khalifa Chater
Le Liban était la caisse de résonnance des conflits arabes. Il était impliqué dans les rivalités entre leurs différentes mouvances : le nassérisme, le Baath, le pôle saoudien, les expressions politiques chiites et bien au-delà.
Chacun de ses partis avait ses relais et ses suppôts. La fin du nassérisme et le déclin du Baath affaiblissaient leurs partisans. La ligne de marquage sunnite/chiite marqua le paysage politique. La naissance de Hezb Allah confortait le pouvoir des chiites. Fondé en juin 1982, mais révélé publiquement en février 1985, Hezb Allah est un mouvement politique et un groupe armé chiite libanais, Il fut créé en réaction à l'invasion israélienne du Liban en 1982. Crises en cycles, l'accord de Taëf (1989) fut une tentative de restaurer la paix, due aux efforts politiques d'un comité composé du roi Hussein de Jordanie, du roi Fahd d'Arabie saoudite, et du président Chadli d'Algérie. L'accord de Taëf consacre de fait la mainmise de la Syrie sur le Liban. Le gouvernement syrien met le Liban sous sa tutelle et sous sa dépendance. En 1992, ont lieu les premières élections législatives depuis 1972. Deux camps s'affrontent : d’un côté la coalition conduite par Saad Hariri et son Courant du Futur, de l’autre l’alliance du Hezbollah (considérée comme pro-iranienne) et du Courant patriotique libre (CPL) de Michel Aoun. Avec 71 sièges, le bloc du 14 mars, emmenée par Saad Hariri, remporte les élections. L'alliance conduite par le Hezbollah en obtient 57 sièges. Rafic Hariri élu premier ministre engage la reconstruction du pays. Il tente également de restaurer l'équilibre rompu par le boycott des élections par les chrétiens, en incluant plus de chrétiens dans le gouvernement. Combattue par Hezb Allah, l'armée d'occupation israélienne se retire, en l'an 2000 du sud du Liban qu'Israël occupe depuis 1978. Libérateur de cette région, Hezb Allah est désormais la première force politique au Liban. L'ancien Premier ministre Rafic Hariri a été tué dans un attentat au camion piégé le 14 février 2005. Réactions populaires, colère, des manifestations sont organisées contre la présence syrienne. L'évacuation des troupes syriennes inversait la donne. Rééquilibrage de circonstances, le gouvernement libanais était désormais le fruit d'un "subtil dosage" entre le courant du Futur, dominant chez les sunnites et plutôt proche du pouvoir saoudien et de Hezb Allah, dominant chez les chiites et en relation avec l'Iran.
L'implication de Hezb Allah, en faveur d'Assad, en tant qu'acteur sur le champ de bataille a attisé les tensions au Liban. Il a précipité la remise en cause du fragile équilibre entre les camps du "14 mars", sunnite et du "8 mars", chiite. Les rivalités entre l'Iran et l'Arabie Saoudite et leurs différends, à propos du Yémen et de la Syrie, ont eu leurs conséquences sur leurs alliances respectives. Excédé par les affrontements sur différends fronts, le gouvernement saoudien, souhaitait que le camp du Futur sorte de sa politique de compromis. Or, le gouvernement libanais ménageait les protagonistes, de crainte de rompre le compromis fondateur du pays du cèdre et l'équilibre laborieux qui prévalait entre les camps du "14 mars" et du "8 mars". Réaction de l'Arabie saoudite, elle suspendit le contrat d'équipement de l'armée libanaise et demanda à ses ressortissants à ne plus se rendre au Liban. L'équation géostratégique du Liban, équilibrant ses relations différentielles, expliquées par les positions de ses composantes, semble remise en question. On parla même de "la chute de la maison Hariri", dirigeant le camp du Futur (Christophe Ayad, titre de la chronique, Le Monde, 4 mars 2016). Nous pensons plutôt que cette position saoudienne de circonstance, résultant de son exaspération de Hezb Allah, qu'elle qualifia de mouvement terroriste, ne change guère la démarcation géopolitique du Liban et les proximités de fait du camp du Futur avec l'Arabie et de Hezb Allah, avec l'Iran. En dépit des aléas de la conjoncture, l'équation géopolitique du Liban n'est pas appelée, dans ces circonstances, à être revisitée sinon révisée.



