La crise de l’eau sera plus aigue en 2017, selon des spécialistes

«La crise de l’eau sera plus aigue et plus ressentie en 2017», selon Raoudha Gafrej, professeur universitaire à l'Institut Supérieur des sciences biologiques appliquées de Tunis et Alaa Marzougui, coordinateur de l'Observatoire tunisien de l'eau, et membre de l'association "Nomad08" sise à Redeyef.
Les deux spécialistes affirment dans des entretiens avec l'agence TAP, que le spectre des perturbations et des coupures dans l'alimentation en eau potable enregistrées dans la plupart des régions tunisiennes durant l’été 2016, va refaire surface durant l’été 2017 et gagnera même en ampleur face à une insouciance généralisée quant à ses causes structurelles, nonobstant les "solutions de raccommodage proposées par les autorités pour montrer un semblant d’action".
Raoudha Gafrej, considère "qu'avec 419 m3 par habitant/an, la Tunisie est en situation de pénurie d’eau absolue, une situation chronique qui a été accentuée ces dernières années par les effets des changements climatiques, l’augmentation des besoins mais également par la dégradation et la vétusté des infrastructures de la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE) et des infrastructures d’irrigation et de transfert de l’eau, générant des pertes d’eau s’élevant à près de 30% des quantités transférées.
D’après les données fournies par la SONEDE, 42% de ses conduites sont vieilles de plus de 25 années et doivent impérativement être remplacées."
"Au rythme de la SONEDE qui programme la réhabilitation d’environ 200 km par an, il faudra à peu près un siècle pour réhabiliter les 42% de son réseau long de 52 000 km.
Sans parler des besoins pour les périmètres publics irrigués dont 30% ont au moins 30 ans et dont l’infrastructure ne peut pas utiliser les techniques d’économie d’eau".
S’ajoute à cela « une pluviométrie défaillante ces dernières années, mais aussi et surtout un problème sérieux de gestion et de gouvernance des ressources en eau, favorisant les solutions de raccommodage et les demi-mesures, qui sont loin de régler le problème de l’eau (potable et irrigation)» s’inquiète-t-elle.
Et même le dessalement de l’eau de mer, présenté comme étant une fatalité par les autorités tunisiennes, qui projettent de réaliser, outre la station en cours à Djerba, d’autres stations à Zarrat et Sfax en plus des 40 stations mobiles programmées, constitue selon Gafrej «un investissement très couteux qui pourrait être remplacé, du moins pour les 10 années à venir, par la récupération des pertes d’eau enregistrées au niveau des conduites de la SONEDE ».
L’universitaire épingle aussi, «une mauvaise gestion de l’eau dans les zones irriguées, laquelle sera accentuée par la circulaire du 27 février 2017, du ministre de l’Agriculture autorisant l’utilisation des forages dans les périmètres publics irrigués, dans les gouvernorats de Béja, Bizerte, Ariana et Manouba, pour faire face au manque d’eau d’irrigation dans les périmètres publics irrigués».
"Cette décision expose les nappes souterraines de ces régions, utilisées en partie pour l’eau potable, déjà fragilisées par l’agriculture intensive et qui affichent une concentration de nitrate largement au-dessus de la norme tolérée (50 mg/l), aux risques d’une dégradation accrue de la qualité de leurs eaux due à l’utilisation des engrais et fertilisants et d’une surexploitation de leurs ressources".
Cette situation peut mener à un conflit pour ces ressources entre les besoins en eau potable et en irrigation outre le risque d'une salinisation des terres", souligne l'universitaire.
Les coupures seront plus fréquentes en 2017
Au vu de cette situation ou s’entremêlent les difficultés d'ordre naturel et géographique, et l’amateurisme des autorités, l’universitaire anticipe des «perturbations et des coupures dans l'alimentation en eau potable plus intense durant l’été 2017, que celles enregistrées l’été dernier ».
Et de poursuivre « même à suivre la logique de nos responsables, et à admettre les solutions qu’ils préconisent pour éviter ces perturbations, il n’est aujourd’hui secret pour personne que la station de dessalement de Djerba ne sera pas opérationnelle en juin comme prévue. Les stations mobiles non plus. Je ne sais par quel miracle, ils prétendent pouvoir résoudre le problème ».La spécialiste en hydraulique souligne aussi que « les prémices de la crise sont déjà là. Redeyef est sans eau depuis un mois déjà, des coupures d’eau sont enregistrées à Sfax, à Gafsa et même dans certains quartiers de Tunis et le manque d’eau va toucher aussi tout le sahel et la capitale en raison du déficit enregistré au niveau du barrage de Sidi Salem ».Et de préciser, «ce que les autorités ne nous disent pas, c’est la région de l’extrême Nord dispose de près de 450 millions de m3 d’eau de surface actuellement disponibles mais non utilisées, stockées dans les barrages de Sidi El Barrak (286 millions de m3), barrage Ezzarga (22 millions de m3), Zayatine (31,8 millions de m3), Gamgoum (17 millions de m3), El Kbir (64 millions de m3) et El Moula (26 millions de m3).
L’utilisation de ces réserves est bloquée en raison de problèmes d’expropriation, empêchant la mise en place des conduites nécessaires au niveau de certains barrages.
Et même les quantités transférées de Sidi El Barrak vers le barrage de Sejnane qui contient actuellement 69 millions de m3, restent très limitées en raison de l'étroitesse de l’oued Sejnene qui nécessite un curage et un recalibrage. Autre problème de taille, le coût de l'énergie dépasse de loin, le tarif de vente de l’eau».











