La Libye la poudrière
Par Mansour M’henn
En mars 2013, notre confrère Jeune Afrique introduisait une enquête titrée « Terrorisme : la poudrière libyenne », dans ces termes : « Des régions entières hors de tout contrôle, un supermarché d'armes à ciel ouvert, des jihadistes intouchables... Deux ans après la révolution, la Libye n'a jamais fait aussi peur à ses voisins. »
Plus de sept mois plus tard, en octobre 2013, notre confrèreLe Point.fr titrait un article : « Libye – La poudrière nucléaire du capitaine Aridi » et l’introduisit ainsi : « Dans le désert libyen, le chef de guerre est à la tête d'une armée hétéroclite... et de l'arsenal nucléaire de Kadhafi. Un héritage convoité par al-Qaïda ».
Au début de février dernier, liberation.fr chapeautait l’article « Libye : dans la poudrière de Benghazi » par ces phrases : « Après la mort de l’ambassadeur américain le 11 septembre et l’attentat raté contre le consul italien le 12 janvier, le berceau de la révolution libyenne est devenu une ville de tous les dangers pour les chancelleries. Et elles ne sont pas les seules visées ». C’était prémonitoire de ce qui allait arriver, en avril, à l’ambassadeur de Jordanie à Tripoli (libéré en mai) et aux deux diplomates tunisiens en Libye (l'un le 21 mars, l'autre en avril, tous deux encore retenus par les ravisseurs). Plus récemment encore, à la mi-mai, les services de sécurité algériens ont réussi à déjouer un plan qui visait l’enlèvement des diplomates algériens en poste en Libye, en vue de les échanger contre des «djihadistes» libyens détenus en Algérie.
Du coup, la question posée, le 6 mai, par notre confrèreWebmanagercenter, en l’occurrence « La poudrière libyenne menace-t-elle la Tunisie? » ne souffrirait qu’une réponse affirmative, bien soulignée par l’auteur, avec suggestion de solution à l’appui : « La Libye est devenue une véritable poudrière. Ce pays est le théâtre quasi-quotidien de violences et d'enlèvements visant aussi bien des Libyens que des étrangers. Il réunit, désormais, tous les ingrédients d’un pays hors-la-loi, ingrédients qui justifieraient, à plus d’un titre, une nouvelle attaque multilatérale contre les milices qui sévissent dans le pays.Si rien n’est fait, ces bandes armées, composées de trafiquants de tous bords, de contrebandiers et d’autres djihadistes mercenaires, risquent de déstabiliser toute l’Afrique du Nord, particulièrement les pays voisins: Egypte, Tunisie, Niger, Algérie, et par ricochet, les pays du nord de la méditerranée. »
Est-ce dans cette perspective que le Pentagone a fait bouger, tout récemment, ses forces en Méditerranée vers la côte tuniso-libyenne ? Le temps est-il venu de déclencher l’opération « Fleurs du printemps », déjà dans le vent depuis quelque temps ?
Ajoutons à cela l’attaque, dimanche 18 mai 2014, du siège du Conseil général national (le Parlement libyen)par des groupes armés du général à la retraite,Khalifa Haftar, une attaque qui vient souligner la facilité de déplacer les hommes et les armes de Benghazi à Tripoli, le paysage est alors clairement établi dans sa confusion caractérisée et dans ses risques les plus menaçants.
De l’autre côté, l’Algérie est sur le qui-vive à la frontière libyenne, car il n’est plus de mise, peut-être, de parler de la poudrière de l’ancien pays de Kaddafi, parce que la Libye est désormais elle-même une poudrière.
Elle paraît de plus en plus comme une réserve inépuisable d’armes de toutes natures, à la propriété hasardeuse et à l’utilisation incontrôlée. Elle est remplie de groupes de différents bords, terroristes, militants, ou légalistes, guère pressés de prendre la poudre d’escampette ni de prendre leurs jambes à leur cou devant le fantôme de la mort. Elle est déchirée par des appartenances multiples et diverses qui ravivent terriblement sa structure foncièrement tribale, aggravée par l’endoctrinement extrémiste et par les visées séparatistes, , au-delà de toute maquette d’un Etat civil se débattant dans son dandinement maladroit de marionnette, à l’image des déclarations contradictoires et peu convaincantes du porte-parole de l’armée, ce lundi 19 mai, suite à l’attaque, la veille, du siège du Conseil général national.
La Libye-poudrière est donc aujourd’hui le lieu de tous les dangers et la source de toutes les menaces, ce qui permet de comprendre certains appels à un interventionnisme hier jugé criminel, aujourd’hui perçu comme salutaire ; ce qui semble expliquer aussi, sans doute, qu’au fond de certains « démocrates », un désir profond les fait prier pour Bouteflika d’Algérie et pour Essissi d’Egypte.
En attendant, les Tunisiens aimeraient bien savoir ce que le théâtre du Conseil national de la sécurité nationale, appelé d’urgence par le président provisoire davantage, apparemment, pour show, leur a préparé comme spectacle, afin qu’ils puissent continuer à jouer paisiblement leur pièce de la transition démocratique.
Il faut croire aussi que sans arbitre ni metteur en scène, sans chef d’équipe ni maître à bord, les individualités se prennent en charge en petits groupes ou en solo, dans une logique sans pitié ni partage. C’est alors l’anarchie, la pire des autocraties et la mère de toutes les dictatures.
