La poste et la riposte
Par Mansour M’henni
Trois jours sans la poste ! Un soulagement pour certains, peut-être ; une vraie torture pour d’autres.
Je pense évidemment à ces pauvres gens dont les besoins, modestes mais vitaux, sont d’une telle urgence qu’ils relèvent vraiment de ce qu’on appelle « une question de vie ou de mort ».
A l’occasion, je ne peux éluder le souvenir de notre premier postier du village, Dieu ait son âme : si Ahmed A. Il est le premier que j’aie connu, aux premières années de l’indépendance, avec sa bicyclette achetée à ses frais et lui servant de moyen de locomotion par vents, pluies et grande chaleur. Il était d’une telle gentillesse et d’une telle disponibilité qu’on imaginerait mal les anges de Dieu d’une autre souche ! Il apportait lettres et mandats à tous les vieux, les malades et les femmes qui ne sortaient pas. Il entrait chez les alités pour leur souhaiter un prompt rétablissement. Il avait pour ceux-là surtout, mais pour tout le monde aussi, le sourire indéfectiblement fondu à ses traits du visage et la plaisanterie en agrément de tout propos.
Ce devait être un autre temps celui-là, le nôtre aujourd’hui est bien moins humain, bien loin de la convivialité d’antan ! Lors de ces trois jours de grève de la poste, les vieux et les femmes, les malades et les bien-portants, tous étaient à califourchon devant des portes, comme des mendiants venus s’ajouter à ceux qui remplissent nos rues et lieux publics et qu’on estimerait à 10 % de la population tunisienne à concurrence de la moitié pour les enfants. Ils avaient un besoin pressant de services qui sont de leur plein droit ! Pour la plupart, ils ne comprenaient rien à la situation ; ils savaient seulement qu’ils subissaient une déplorable injustice et se demandaient si le pays les emmenait vers le meilleur ou vers le pire !
A la base, il y a un malentendu ou un conflit entre deux hommes et la différence entre leurs deux statuts professionnels a fait que celui doté de plus d’autorité et de plus de prérogatives a mis l’autre en prison. Quoi, cela vous rappelle d’autres temps bien lointains et d’autres modes de pouvoir supposés anachroniques ? Quel leurre ! C’est à croire que certaines démocraties ne font que maquiller autrement l’ancien pouvoir féodal !
Pour le cas de figure, l’esprit de corporation aidant, la faiblesse de l’opprimé (ou supposé comme tel) est compensée par la mobilisation du secteur et c’est la grève de ce dernier ; et c’est la misère de tous ces gens du petit peuple qui voient tous leurs intérêts bloqués pour permettre « aux soldats du roi » de se livrer à un petit duel d’honneur et de satisfaction narcissique. Ironie oblige, car c’est bien l’ironie du sort qui nous place aujourd’hui devant de telles absurdités.
Nous sommes des gens modernes, nous dit-on, des gens civilisés, soucieux de l’autorité des lois et des institutions ! Mais le peuple ne comprend rien à ce qui s’est passé : où est le tort ? Qui est censé rectifier le tir ? Et comment ? L’Etat lui-même est tout nu, au regard de ses enfants, dans son honneur bafoué et son impuissance pitoyable ! Que je sache, le ministère des Communications et celui de la Justice font bien partie du gouvernement ?! Et la société civile, d’un secteur comme de l’autre, ou simplement de l’éternel refrain des droits de l’homme, sorti uniquement pour les besoins de certains commerces, n’a-t-elle pas un mot à dire, un avis à donner, une action à entreprendre ?
Faut-il se résigner à croire qu’il n’y a plus de « raison d’Etat », plus de raison du tout ? On nous dit que l’homme de la poste, le pauvre emprisonné, n’avait fait qu’accomplir sa tâche conformément au règlement ! Alors comment expliquer la réaction du « juge » ? Par l’arbitraire ? Par l’abus de pouvoir ? Cela est-il permis « après la Révolution » ?
Révolution ? Quelle illusion ! Avons-nous oublié que cette révolution a trouvé sa légitimité sur une injustice commise à l’égard d’une pauvre jeune dame, une policière municipale, qui n’avait fait qu’accomplir son devoir dans le juste respect du règlement qu’elle était chargée de faire respecter ? Combien de mois de prison avait-elle écopé pour l’accomplissement de son devoir ? Pourquoi s’étonner donc que ce qui découle de ce spectre de révolution soit tout de la même nature ! Et comment ne pas comprendre la plupart des Tunisiens qui, devant cette absurdité et mille autres pareilles, n’ont de réaction que cette prière désespérée : « O Tunisie ! Que Dieu vienne à ta rescousse ! »
NDLR : Cet article d'opinion libre est publié sous la responsabilité de son auteur et n'engage pas la rédaction de Jawhara FM.
