La religion, la politique et l’horreur

Par Mansour M’henni
Je regarde autour de moi et un grand désespoir s’en prend à mon cœur, pourtant naturellement optimiste.

Je vois ce monde où nous vivons et je suis pris de vertige. Partout les horribles méfaits des conflits qui n’ont que l’odeur de la mort et la couleur du deuil : ceux d’ici, à proximité de notre amour de la vie et notre fraternité supposée, ceux-là, là-bas, qui n’en sont pas affectivement moins proches au nom d’une certaine fierté d’appartenir à l’humanité entière.
Je cherche partout sur la mappemonde un point qui puisse me faire penser au Paradis des religions ou à ces lieux auxquels Baudelaire invite son amour : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté / Luxe, calme et volupté » ! Drôle de naïveté !

Je dors sur les images de douze tués à Paris et autant de blessés et me réveille sur les trente-trois morts au Yémen et un nombre double de blessés. Je regarde par la fenêtre et le ciel est gris comme un esprit malade. Qui disait déjà que le Saint-Esprit ou, au moins, la santé mentale étaient une marque du Ciel ?
Je médite, livré au souvenir des livres noirs qui me font signe avec les ombres de leurs auteurs manifestement coupables de distorsions de la logique et de travestissement des vérités, et je vois les religions derrière ces tableaux en rouge et noir mêlés, toutes les religions, celles venues du ciel et celles nées de l’imagination des hommes. Je me rappelle alors une phrase de Kateb Yacine, qui y aurait laissé la vie dans ce « printemps arabe » et, à y bien penser, je la trouve de grande vérité : « Méfiez-vous des religions ! », a-t-il livré aux hommes, en ultime testament (https://www.youtube.com/watch?v=HOnJ-L4hWzM ).

Vous vous demandez sans doute comment un bon musulman comme je crois être, à ma manière, dans mon Islam de profonde communion, sans théâtre ni simagrées, peut adhérer à une telle phrase ? Tout simplement parce qu’elle est un fruit raisonnable qui s’est nourri de la sève d’un cœur meurtri.
L’impératif katébien, « Méfiez-vous des religions ! », nous prévient des usages que certains prétendus représentants légitimes des religions peuvent se permettre pour étendre leur pouvoir le plus horrible sur les âmes des croyants et leurs menaces les plus terribles sur les vies de ceux qui en sont différents. Car la religion elle-même est une réalité humaine, personnelle dans son principe, éthique dans son essence, devenue politique par une aberrante déformation.

Le principe et l’essence de toute religion ont valeur de tolérance et d’humanité, mais en politique, elle devient un instrument de manipulation, une arme de la terreur, une justification de l’exploitation et un argument du crime. Elle devient ainsi parce que, dès qu’elle est prise en main par la politique, la religion cesse d’être une forme d’expression spirituelle et devient une idéologie fanatisée conduisant aux pires sentiments d’inhumanité dont on constate les horreurs.

Ce qui me paraît le plus révoltant dans ce déroulement des choses, c’est que ce sont rarement les vrais responsables de la terreur qui en sont les victimes, qu’ils y soient des acteurs en cibles ou en exécutants. On appelle ces vrais responsables des « têtes pensantes », tous les autres ne seraient que des têtes pansées ou à poncer en fonction du résultat escompté. Des têtes pensantes qui jouent des mots et des discours comme des prestidigitateurs maîtrisant l’art de tromper les consciences fragiles et d’abuser les faibles intelligences.

Je regarde autour de moi et j’en vois des modèles caractérisés crachant la rancoeur avec les mots et exhibant la haine dans leurs yeux et sur leurs visages. Je revois alors le film de quatre ans durant lesquels mon pays a plus cultivé des agents du crime qu’il n’a cultivé d’arbres et de plantes. Mon cœur se serre de nouveau et un cri intérieur retentit dans ma conscience : « Nous ne les laisserons pas faire : notre pays nous appartient jusqu’au lieu le plus secret du mont Chaambi, notre humanité est notre champ de culture jusqu’à la parcelle la plus petite de notre affect et de notre raison. Quant aux divergences, il y a mille autres façons de les trancher que par la haine, la vengeance et le crime. »