Le retour de la frontière …!
Pr. Khalifa Chater
L'émergence de grands ensembles semblait relativiser les frontières, comme lignes de démarcation entre les Etats-nations.
L'Union Européenne a réussi le pari de réaliser son processus d'intégration. Liberté du marché, liberté de circulation, par l'accord de Schengen et même intégration financière de la zone euro, en attendant la mise sur pied d'une politique de défense. Néanmoins des eurosceptiques, essentiellement appartenant à l'extrême-droite, critiquent au nom de la souveraineté nationale, le processus d'intégration et le remettent en cause. Le retour à la frontière, dans son acception traditionnelle est désormais à l'ordre du jour. La frontière n'est, en effet, entre les pays de l'Espace Schengen, qu'une limite politique et juridique, ne faisant pas obstacle à la circulation des personnes et des biens.
La sortie du Royaume Uni de l'Union Européenne, est dans une certaine mesure, une velléité de retour aux frontières, vu le discours de la souveraineté et la culpabilisation de l'immigration, essentiellement de l'Europe de l'Est. D'ailleurs, le Royaume Uni ne fait partie ni de l'accord de Schengen, ni de la Zone euro. . ‘‘Aujourd'hui, la Grande Bretagne a le pied dedans (en Europe) un pied dehors. Après le 23 juin, ce sera l'inverse’’. Ce diagnostic de l'ancien eurodéputé centriste Jean-Louis Bourkanges reste valable, après la sortie de l'Union.
La politique de voisinage, de l'Union Européenne, qui a pris le relai du processus de Barcelone et transgressé sa vision globale, mobilise sa réflexion autour d'une stratégie, limitée à "l'étranger proche", la région sud-méditerranéenne et l'Europe orientale. La politique de voisinage a redéfini la coopération, en faisant valoir les enjeux territoriaux. De fait, le passage de la coexistence, au partenariat euro-méditerranéen, selon son idéaltype, n'a pas réussi à s'inscrire sur le terrain. Par contre, l'ouverture de Schengen, s'est accommodée du mur de la Méditerranée, protégeant la citadelle Europe et fermant ses frontières au-delà.
La formule du "Grand Moyen-Orient" et la stratégie du chao, qui lui a succédé, ont mis à rude épreuve les Etats-nations. Fait d'évidence, le discours d'instauration d'un pseudo califat, a permis à Daech de transgresser les frontières entre la Syrie et l'Irak et d'établir un "territoire", contestant le pouvoir national. La reprise de Alloua, en Irak et le mouvement similaire de reconquête en Syrie, annoncent une reprise de l'initiative, par les pouvoirs établis et l'alliance internationale, pour restaurer l'Etat-nation.
Fait d'évidence, le territoire n'est pas une fin en soi mais un construit social. La frontière est bel et bien une affirmation d'auto-reconnaissance. Sa restauration au Moyen-Orient traduit une volonté d'indépendance. Par contre, dans le cas des eurosceptiques, elle peut être perçue, comme synonyme de repli et même, dans certains cas, une exclusion de l'autre, du voisin de préférence. Mais comment éviter le piège des frontières cloisons, alors que l'aire monde appelle au développement de la coopération, et de la coexistence solidaire ?
