L’excellence sans arrogance
Par Mansour M’henni
Une occasion m’a été donnée par ma fille d’assister à une belle cérémonie de remise des diplômes d’ingénieurs de l’Ecole Centrale de Paris, dans le Théâtre du Châtelet à Paris, une des plus importantes institutions du genre au plan international.
Au-delà de tout ce qui est attirant du côté de l’organisation et de l’état d’esprit qui régnait entre les enseignants, les étudiants et l’administration, laissant voir un esprit de famille étendu à travers le monde, une phrase a particulièrement retenu mon attention, dans l’une des allocutions prononcées : « L’excellence sans arrogance ».
Voilà bien un mot d’ordre de quoi reconstruire un monde sur une vraie éthique et une juste et heureuse gestion du rapport à l’Autre. De quoi faire donc une société fondée sur l’engagement à outrance dans la logique de l’affirmation de soi, et sur l’inaliénable respect de l’Autre dans tout ce qui fait sa différence et dans tout ce qui est à même de garantir le meilleur vivre-ensemble possible, grâce même à ces différences plutôt que malgré elles.
Tout cela est donc constitutif de l’état d’esprit et de la façon d’être d’un Centralien. Tout cela et rien que cela ! Deux principes présidant, l’un à la considération de soi, l’autre à la considération de l’Autre :
L’esprit d’excellence est un sport intérieur qui finit en une culture et un trait de caractère. Il s’agit d’ambitionner la perfection, tout inaccessible qu’elle paraisse. Suffirait-il de s’en rapprocher le plus possible que l’essentiel de l’objectif est atteint. Pour ce faire, d’autres qualités sont requises : d’abord le labeur inlassable et incorruptible, le sens du travail soigné et du devoir accompli ; ensuite la motivation de l’innovation et de la créativité ; enfin la conscience pratique avec tout ce qu’elle nécessite en savoir-faire efficient, attentif au détail sans perdre de vue les considérations d’ensemble.
Or, ainsi conduit, l’élan de l’excellence peut paraître, peut s’avérer parfois, sur le terrain pratique, déformé par le narcissisme, l’égoïsme, la volonté de puissance et la folie des grandeurs. Il deviendrait alors nocif pour la société qu’il entendait bâtir sur des fondements solides et pour le monde qu’il voulait reconstruire sur des valeurs sûres et inaliénables. C’est pourquoi, la volonté d’excellente devrait se concevoir de façon inséparable de la valeur de respect, celle-ci trouvant sa concrétisation dans le refus, en soi, de toute arrogance.
L’arrogance, rappelons-le, est ce comportement affecté, rempli de suffisance et se manifestant dans le mépris ou le dédain qu’on peut avoir pour autrui. Parfois, sans qu’on s’en rende vraiment compte, elle peut s’exprimer par un regard qui cherche à rabaisser en voulant se rehausser ; par le ton d’une voix qui pèse d’un abus d’autorité, souvent fallacieuse, pour imposer le silence autour d’elle et surtout toute réaction contre elle ; par un geste même qui, tout en paraissant anodin et fortuit, ne se rend pas compte du méfait qu’il produit.
L’excellence amène le succès et si celui-ci n’est pas nourri de l’arôme de l’humilité, il dérape imperceptiblement vers le défaut inverse, la folie des grandeurs qui couve et nourri toutes les formes de dictature et de répression, toutes les configurations du mépris et de la ségrégation. Avec l’humilité, l’excellence cherche à comprendre et même à s’interroger sur elle-même pour se ressourcer dans la relativisation des vérités ; elle essaie de trouver raison dans le détail pour réviser le dogmatisme et les frontières arrêtées. Confortée de tout ce qu’elle sait et de tout ce qu’elle sait faire, l’excellence n’a pas honte de dire, après Socrate, « je ne sais qu’une seule chose, c’est que je ne sais rien » et d’ajouter, au contact de tout et de tous, « Il peut y avoir dans la rivière, ce qu’on ne trouve pas dans la mer ».
En méditant cette expression de départ, « l’excellence sans l’arrogance », je me suis demandé ce que notre société et notre pays gagneraient s’ils se donnaient pour consigne générale, éthique, politique et pédagogique, l’initiation de tous à cette morale. Je crois qu’ainsi, une seule génération suffirait pour faire de la Tunisie un pays développé.
