Qui comploterait contre la raison sécuritaire ?


Mansour M’henni
Le dernier mouvement contestataire d’un ensemble de sécuritaires, au nom de leur syndicat, a fait couler beaucoup d’encre et a suscité diverses réactions, en raison surtout des dérapages qui ont accompagné cette manifestation, à l’égard de la présidence du gouvernement.
Ce qu’il importe de relever d’abord, c’est le mécontentement quasi-général des citoyens qui ont déjà « la main sur le cœur » en suivant de près ce qui se passe et ce qui se prépare en Libye. Voilà donc que l’un des premiers responsables de sa protection, en l’occurrence le corps sécuritaire, se met en vraie « mutinerie », une « rébellion » contre le gouvernement. En plus, on entend dans certains médias des voix s’élever pour faire des comparaisons avec le corps militaire et le corps douanier ! Chercherait-on à réveiller l’esprit d’un certain janvier 2011, après le 14, quand des mains secrètes avaient mis dos-à-dos, la police et l’armée ? Heureusement que cela n’avait pas duré longtemps !
Un ancien diplomate déclare que ce que les membres d’un syndicat des forces de sécurité « ont commis est un acte gravissime qui mérite sanction. Si le gouvernement ne fait rien pour dissuader ces forces qui sont censées nous protéger, c’est un aveu de faiblesse dont nous paierons le prix tôt ou tard ».
Un commentateur ajoute : « Il faut des mesures drastiques contre un tel comportement sauvage, arrogant et contraire à la loi et à l’éthique. Il faut que l’UGTT se désolidarise de ces actions honteuses et qu’il se dresse contre ce torrent de rébellion contre l’Etat. Ce n’est pas cela l’action syndicale ; celle-ci est ainsi dominée par la politique dissidente aux règles professionnelles, donc destructrice de tout édifice et humiliante pour le peuple et pour la patrie. »
Nombreux sont ceux qui se demandent : « Pourquoi maintenant ? Pourquoi de cette façon ? »
S’exprimant sur le plateau de NessmaTV, Sahbi Jouini parle franchement de complot dans lequel seraient impliqués des cadres sécuritaires en perte de crédit et bientôt à la porte de sortie soit par incompétence, soit pour implication dans des pratiques suspectes. Leur objectif serait alors de faire régner la confusion pour se maintenir, surtout de fragiliser l’Etat dans son ensemble et, laisse-t-il comprendre, particulièrement le premier responsable de la sécurité. Entendons le Directeur Général de la Sécurité Nationale dont on connaît l’intégrité et la compétence et qui est récemment nommé à ce poste.
S. Jouini réclame le dévoilement des responsables régionaux qui ont fourni la logistique nécessaire à un tel rassemblement. Il interroge : « D’où vient l’argent qui a permis de louer les bus ? Qui a couvert les absences non autorisées, Qui… ? ». Le sous-entendu de son discours semble pointer des formations politiques qu’il refuse de nommer, pour rester dans le seul cadre qui le concerne professionnellement.
Il relève alors la campagne menée, à l’occasion, contre le syndicat national des forces sécuritaires et prévient contre l’amalgame qui mettrait tout le monde dans le même sac, qui condamnerait une famille pour la faute d’un de ses membres, etc. Il réaffirme sa mobilisation pour défendre cette structure de la société civile qui a permis à la police de devenir républicaine, proche du citoyen et en posture neutre par rapport aux tractations politique.
N’empêche qu’un vrai sentiment d’exaspération s’empare des citoyens, où se mêlent la colère et la déception, et qu’il n’y a plus aujourd’hui que les comploteurs qui cherchent à dissoudre ce syndicat : il y a aussi des citoyens qui réclament au moins la révision de l’espace de liberté donné, surtout par complaisance ou par laxisme, à un corps dont la relation à l’exécutif et à la santé de l’Etat lui impose un minimum de dévouement patriotique, de discipline et de rigueur. Sinon, rien ni personne ne pourra concrètement sauver et consolider la raison sécuritaire en Tunisie.
En attendant, un communiqué de la présidence du gouvernement, sur sa page officielle, condamne fermement le comportement « de certains syndicalistes des forces de sécurité intérieure », un comportement qui est perçu comme une menace de rébellion et qui est jugé « en contradiction totale avec la constitution et les lois en vigueur ». On annonce aussi que des poursuites judiciaires seront engagées contre les auteurs de ces actes.
Le peuple semble vouloir y croire, mais il a tellement pris l’habitude des communiqués de circonstances qui finissent sans l’incidence souhaitée, qu’il se recroqueville dans son fidèle compagnon, le scepticisme, et murmure entre les lèvres : « Rabbi yehmi Tounès ! ».



