Chronique14/09/2016 à 13:11
Syrie, le parrainage américano-russe de la "trêve"
Pr. Khalifa Chater
Finalisant les négociations Obama/Poutine, le 5 septembre, en marge du G 20,
le secrétaire d'Etat américain John Kerry et son homologue russe Sergueï Lavrov, ont annoncé, à la suite d'une journée de discussion marathon, à Genève, le 9 septembre, un accord sur une trêve qui doit débuter lundi 11 septembre, le début de l'Aïd el-Adha. Jusqu'à cette date, "ni les Russes ni les Américains ne voulaient vraiment endosser le rôle d'arbitre du conflit. Washington refusait d'utiliser son sifflet, Moscou refusait d'enlever son maillot de joueur", constatait un expert libanais (Antoine Samrani, l'Orient le Jour, 11 septembre). L'engagement des deux puissances, qui soutiennent des camps adverses dans le conflit syrien, en faveur d'une trêve tenait compte de la montée des périls. Cette guerre sans fin, dont les retombées sur la scène confirmaient la stratégie du chao de Daech et assuraient son application sur le terrain. Cet accord, visait à favoriser une réduction immédiate des violences et une reprise des négociations en vue d'une transition politique. D'autre part, l'accord devrait déboucher sur une coopération militaire inédite contre les jihadistes. Outre la lutte contre l'organisation Etat islamique (EI), les deux parties sont convenues de renforcer leur action contre toutes les forces jihadistes, notamment le Front Fateh al-Cham, ex-front al-Nosra qui a renoncé à son rattachement à Al-Qaïda.
La crise syrienne est un imbroglio complexe où les acteurs et ceux qui les soutiennent, n'ont pas les mêmes agendas. Se sous-mettraient-ils à cet accord qui transgresse leurs stratégies ? Les Russes étaient les maîtres du jeu, avant les négociations du cessez-le-feu. Leur entrée sur scène et leur engagement dans la lutte, soutenant le pouvoir syrien, a constitué un tournant. Ils sont désormais incontournables dans le conflit. D'autre part, ils étaient les alliés de l'Iran et de Hizb Allah, dans cette guerre. Moscou "a mis au courant le gouvernement syrien de cet accord et il est prêt à le respecter". affirma John Kerry. "Le gouvernement syrien a eu connaissance de l'ensemble de l'accord et l'a approuvé", a indiqué, le jour même, l'agence officielle Sana, citant des "sources informées". L'Iran et Hizb Allah accepterait volontiers cet accord, qui consacre les rapports de forces en faveur de leur allié et occulte la question essentielle de son départ.
Les Américains, qui soutiennent des rebelles dits modérés, ont fait valoir, auprès d'eux leur point de vue. Leur émissaire pour la Syrie les a appelés à respecter l'accord de cessez-le-feu, qu'il décrit comme "le meilleur moyen" de sauver des vies. "Cette trêve peut être plus efficace que la précédente car elle peut arrêter les frappes syriennes contre les civils et l'opposition", a plaidé Michael Ratney, en référence à un premier accord russo-américain conclu fin février, qui avait volé en éclat au bout de quelques semaines. L'opposition syrienne a accueilli avec circonspection l'accord (Charq Awsat, 10 septembre).
Le Haut comité des négociations (HCN), qui rassemble les principaux représentants de l'opposition et de la rébellion syriennes, a de son côté indiqué n'avoir pas encore reçu "une copie officielle" du texte. Une membre du HCN, Bassma Kodmani, avait réagi avec circonspection à l'annonce de l'accord dont l'application dépend, selon elle, avant tout de la Russie. "Nous voulons que la Russie persuade le régime d'appliquer l'accord. Nous ne nous attendons pas à ce que le régime le fasse de plein gré", a-t-elle indiqué à l'AFP. Les pays soutenant la résistance acceptent officiellement l'accord. Mais est est-ce qu'ils arrêteraient volontiers l'armement de leurs alliés et accepteraient de mettre fin à leur jeu de rôle. La Turquie, désormais acteur important en Syrie s'accommoderait de cette situation, qui favoriserait la défense de l'intégrité de la Syrie et atténuait les risques de la constitution d'une entité kurde, au nord du pays. Vu ses actuels engagements, elle participerait volontiers à la coalition contre Daech, à la condition évidente de l'exclusion de la résistance kurde.