Chronique : Quand finira la série des occasions ratées?


Par Mansour M’henni
Le blocage qu’a connu le rapprochement du Front Populaire et de Nidaa Tounes pousse vraiment à une rétrospection des occasions ratées par la Tunisie, à des moments importants de son Histoire.
Certains pensent que la première a été à l’aube de l’indépendance quand la vision de Bourguiba l’avait emporté sur celle de Salah Ben Youcef. Ils ont peut-être leurs raisons que ma raison peine à accepter, mais je ne peux que les respecter, sans partager leur position, tant qu’ils sont capables de rester dans l’éthique du respect.Je ne parlerai pas de la politique des coopératives qui a été prise de travers et qui a donné l’occasion à un ancien compagnon de Hached de monopoliser assez de pouvoir pour devenir la seconde personnalité importante après le Combattant suprême, mais qui n’en a profité que pour amplifier son autorité jusqu’à aller droit dans le mur, par trop de suffisance ou tout simplement de cécité.
Cependant, j’évoque volontiers le milieu des années soixante-dix où le parti destourien, qui se faisait appeler « socialiste » depuis la « coopérativisation », a choisi de booster les islamistes en herbe afin de contrer la gauche qu’il jugeait coriace et intraitable. Ce fut là une occasion ratée, par mauvaise intelligence de la démocratie, de fédérer la mouvance moderniste et progressiste autour d’un projet national commun, au-delà des différences respectives.
Au résultat ? On a eu le 26 janvier 1978, on a eu le ratage électoral de 1981, on a eu la révolte du pain de 1984, calmée par une solution de spectacle plutôt que par une intelligence profonde de ses effets et ses causes.
Puis, ce fut le 7 novembre 1987 salué comme le coup de grâce et la chance du salut par la quasi-totalité de la Tunisie, toutes idéologies et toutes catégories sociales confondues, y compris (j’allais dire « surtout ») les plus virulents dénigreurs, aujourd’hui, de cet événement, soudain devenu un « complot », après avoir été pour eux une « révolution tranquille », à prendre pour exemple dans les pays en
développement.
Il faut reconnaître que la déclaration du 7 novembre était un excellent texte programmatique, renforcé par le pacte national du 7 novembre 1988, adopté par presque toutes les forces vives, les formations politiques et les composantes de la société civile. C’est à croire qu’aujourd’hui encore, il ne serait pas insensé de penser à relancer sa dynamique, en la libérant de l’image de celui qui l’avait trop portée,
pour s’en couvrir et s’en servir, jusqu’à l’user et lui faire perdre son éclat.
Mais cette occasion a été ratée aussi, comme chance de mise en marche de la dynamique de démocratisation, et je persiste à croire, objectivement, que la responsabilité est partagée. Peut-être faudra-t-il un jour en parler plus sereinement ?
Au moins pour éclairer l’avenir.
Nous avons peut-être raté, en janvier 2011 également, l’occasion d’une transition limpide, faisant le nettoyage qu’il faut des saletés accumulées et reprenant courageusement la dynamique du progrès avec plus d’engagement et plus de responsabilité. Nous aurions alors évité les désastres économiques et sociaux qui s’en sont suivis, sans parler de la violence protéiforme aboutissant à une prolifération du terrorisme d’une façon jamais connue, de cette nature, dans la Tunisie indépendante.
Comme signalé à la naissance de Nidaa Tounes, je pense que celui-ci a voulu rattraper le temps perdu et relancer ce qui devait se faire depuis le milieu des années soixante-dix, c’est-à-dire fédérer les forces progressistes et modernistes centristes, dans la famille destourienne, dans la gauche centriste et dans la droite centriste. Bref créer un centre élargi à la dimension du meilleur et du plus large mouvement
fédérateur possible, avec la sauvegarde et le respect des différences qui se laisseraient gérer en toute démocratie et sans violence.
Malheureusement, aujourd’hui j’ai le sentiment que certaines formations, se disant pourtant des mêmes principes de démocratie, de progrès et de modernité, sont en passe d’ajouter à la série une autre occasion ratée. Osons croire cependant, par un optimisme vraiment de premier degré, qu’à quelque chose malheur peut être bon.



