Essuie-moi, Dieu te protège !
Par Mansour M’henni
Le titre de cette chronique, je l’ai emprunté, traduit mot à mot de l’arabe, à un citoyen inconnu qui l’avait écrit, d’un doigt de sa main, sur la vitre arrière d’un taxi, celle-ci étant entièrement opaque tellement la couche de poussière qui la couvrait était épaisse.
En regardant cette phrase affichée comme une pancarte au dos du véhicule qui roulait devant moi, je n’ai pu m’empêcher de songer à la notion de propreté et à ses implications et ses incidences diverses. Il y a donc la propreté de notre corps, dont dépend étroitement notre santé. Il y a aussi la propreté de nos objets qui informent du soin que nous prenons de notre look et de notre image sociale. Il y a encore la propreté de notre environnement qui traduit le degré de notre conscience citoyenne et de notre civilité. Il y a enfin la propreté morale dont dépendraient toutes les autres et qui détermine notre être à nous-mêmes et au monde qui nous entoure.
Ainsi, dans son aspect anodin, la phrase sur le taxi évoque la revendication, par un objet, de son droit à la propreté ! Que dire alors d’un être vivant, humain ou autre ? Voilà bien l’objet qui, par un tiers interposé, un citoyen de fortune, crée un contexte de conversation avec son propriétaire, son maître et le responsable de son destin. C’est une sorte de montage fictif d’une autre conversation, entre citoyens (le propriétaire du taxi et l’auteur de la phrase), autour de la conscience de civilité et du respect d’autrui. Une façon d’être dans l’esprit de conversation avec soi et avec tout le reste, jusqu’au petit détail qui nous paraîtrait de très peu d’importance ou carrément sans importance.
« Tout dans la vie sert à quelque chose », disait le fou dans le film La Strada, je crois. Dans le même esprit ou presque, je dirais : « Tout dans la vie appelle à converser ». Reste à savoir s’il y a, en chacun de nous, la prédisposition à le faire et l’écoute nécessaire pour le réussir. Pour ce faire, il y a une éducation et une culture à instaurer et à généraliser sur la base de l’hospitalité à autrui et du respect de tout être. A partir de là, on peut commencer à se penser et à se croire dans l’exercice de la vraie démocratie.
Comme par un curieux hasard, ce moment de cogitation sur la phrase du taxi a coïncidé avec un moment où je partageais ma précédente chronique dans laquelle j’appelais mes concitoyens, qu’ils soient dans les responsabilités ou qu’ils fassent partie, comme moi, du commun de la population, à se mobiliser pour le travail et à œuvrer de concert pour l’intérêt de la Tunisie. Malheureusement, en rentrant et en allant faire ma promenade régulière dans les réseaux sociaux, je n’ai trouvé que le classique défilé des frictions et des violences verbales, sur tous les tons et dans tous les styles, comme un écho chaotique de haines déchaînées. Le pire dans cette situation, c’était de retrouver un son de cloche que je croyais révolu, celui du régionalisme et du racisme, sources de tous les malheurs. Le plus grave encore, c’était que certains de ces commentaires incendiaires étaient attribués à de nouveaux responsables de l’Etat et de ses institutions !
Puisse cela relever du simple radotage, ou alors que les concernés s’en excusent et s’engagent à changer de langage et d’état d’esprit. Sinon, force est de répéter après Jean Ferrat : « Faut-il pleurer, faut-il en rire /…/ On ne voit pas le temps passer ». En attendant que chacun de ces « responsables » et citoyens soit à l’écoute de son cœur le suppliant : «Essuie-moi, Dieu te protège ! »
