Chronique31/08/2024 à 11:47
La Tunisie à la croisée des intentions de la sauver
Par Mansour M’henni
À chaque échéance électorale importante, les pays se réclamant de la démocratie cherchent à mettre à l’épreuve le fonctionnement sous-jacent à ce concept dans leur État et dans leur société. Cette mise à l’épreuve tend souvent à finir en un bras de fer soumis à des règles couvertes par un flou qui ajoute de la tension où baigne le conflit. Ce qui est marrant, c’est que tous ceux impliqués dans cette confrontation des rapports de force se réclament de la vraie démocratie et du sens de la responsabilité qui cherche le bien du peuple et de la société !
Le spectacle se joue presque le même, à part de légères différences contextuelles, soit dans les pays dits développés et les plus à même de représenter l’édification démocratique (l’exemple des USA et de certains pays de l’Europe), soit dans les pays qui, au milieu du XXe s., ont compté dans le lot du tiers-monde. Et la Tunisie, malgré ou à cause de ce qu’on y a anachroniquement baptisé le « Printemps arabe », se débat aujourd’hui dans la vase d’un piétinement irréfléchi et incontrôlé d’un automne boueux de la démocratie qui tend à geler ses élans promoteurs dans un hiver hors de portée.
Il importe peut-être de rappeler encore une fois que les fondateurs de la démocratie ont pris la précaution de prévoir des moments de panne dans le processus de démocratisation, ces moments où une sorte d’anarchie tend à tout remettre en question et qui, à leur avis, nécessite la monopolisation du pouvoir par un citoyen supérieur capable éthiquement, intellectuellement et politiquement d’éviter le dérapage et de redresser le chemin ! Il paraît évident que, dans la Tunisie d’aujourd’hui, Kaïs Saïed cherche à concrétiser cette grave étape du « danger envahissant », dans les règles de l’étape et de son esprit préconisant le monopole du pouvoir absolu, ou presque, moyennant une sauvegarde de surface des structures reconnues de la société en démocratisation. Cela est important à préciser, nous semble-t-il, pour qu’on ne se laisse pas prendre à la propagande de dénigrement de l’homme du 25 juillet 2021 en arguant l’argument d’ignorance. Il a bel et bien des références bien connues (Surtout Solon et Clisthène qui ont précédé ce qu’on appelle « l’âge d’or de la démocratie athénienne), reste juste à savoir le degré de leur opportunité contextuelle. De toute façon, comme précédemment souligné à plusieurs reprises depuis juillet 2021, Kaïs Saïed nous paraît à classer dans la généalogie politique de Bourguiba (peut-être de Ben Ali aussi), du point de vue de la conception d’un plan de sauvetage de la société.
Mais en face, il y a tous ceux qui se disent, eux aussi, les vrais et les bons porteurs du plan de sauvetage et qui voient, pour plusieurs d’entre eux, la solution dans la restauration du cheminement adopté lors de ce qui est désormais attesté comme « la décennie noire ». Ce qui pose problème ici, c’est la distance, souvent constatée dans les effets pervers, entre les concepts défendus et leur mise en pratique. Là se pose la question des textes constitutionnels et juridiques de référence puisqu’on arrive toujours soit à leur remise en question de l’intérieur du système, soit à la revendication de leur remplacement par d’autres textes à l’affiche d’autres idéologies en difficulté de s’imposer dans la société.
Dans ce croisement litigieux des cheminements politiques, la question des lois reprend tous ses droits et ses pouvoirs, à condition de la remettre à l’ordre du jour des conversations constructives, épurées de toute démagogie aveuglante et de toute persuasion trompeuse. Mais l’autre question qui en découle : aujourd’hui, les conditions de telles conversations sont-elles possibles, sinon comment leur donner raison d’être et d’agir dans le sens de ce qui se doit ?