Représentativité et démocratie, un lien très peu certain
Par Mansour M’henni
On a souvent tendance à circonscrire la démocratie dans les limites de la représentativité du peuple, gérée par des élections réglées et des textes constitutionnels ou statutaires, pour se rendre compte, en temps de crise, que cette représentativité est toujours relative et qu’au fond, elle ne fait que conduire une certaine idée de la démocratie dont on se satisfait tant bien que mal, faute de mieux. Autrement dit, loin de son idéal de référence, la pratique démocratique est toujours un moindre mal et finit d’ailleurs plus par s’accommoder des contraintes du contexte qu’elle ne lui impose ses propres contraintes pour le changer radicalement.
Pour le cas de la Tunisie, depuis les élections de 2014 au moins, considérées comme le vrai premier scrutin libre et universel, on est en interrogation de la notion de représentativité et souvent dans le sens de sa contestation, surtout à propos de Nidaa Tounès du fait de son alliance ou sa coalition avec le mouvement islamiste d’Ennahdha. Chacun y va alors de sa propre argumentation pour défendre cette démarche ou pour la dénigrer au point de contester le poids électoral obtenu par le parti de Béji Caïd Essebsi. Sans doute est-ce cela, pour une large part, qui a amené l’éclatement désormais constaté de ce parti.
On parle plutôt de trahison électorale puisque le parti qui a gagné les élections par le slogan du « vote utile » afin d’écarter Ennahdha du pouvoir, a très vite trouvé le moyen de reconduire le pouvoir de son ancien adversaire (son ennemi, pour certains de ses militants) en l’invitant à la coalition, fonctionnelle depuis et toujours plus renforcée, au point qu’on parle plus en Tunisie d’un pouvoir autocrate entre les mains expertes de Ghannouchi, par Essebsi interposé. Est-ce dans le même ordre d’idées que l’on parle déjà de Ghannouchi comme un futur candidat pour les élections présidentielles de 2019 ou pour toute autre qui surviendrait par vacance de poste, d’une façon ou d’une autre. Vrai ou faux, qu’importe ! En tout cas certains propos de Rafik Abdessalem à la télévision affirment l’éventualité de façon explicite. L’essentiel pour notre propos est que la notion de représentativité dévoile son aspect pervers et nous rappelle qu’il en a souvent été ainsi.
Qu’on se souvienne de la mobilisation populaire ayant porté Bourguiba au pouvoir et consolidé ce pouvoir au fil des ans, pour ses réalisations et malgré ses défaillances ! Personne ne peut, même aujourd’hui, remettre en question le poids populaire de ce soutien, signe d’une autre forme de démocratie indépendamment de la manière de gérer la représentativité par des élections.
Qu’on se souvienne également de la mobilisation non moins populaire ayant légitimé le pouvoir de Ben Ali, avant même les élections de 1989, et malgré ce qu’on ne désigne aujourd’hui que comme un « coup d’Etat médical », alors qu’il était, à ses débuts, considéré comme une « révolution tranquille », même par les plus virulents opposants des dernières années de Ben Ali et par les plus révolutionnaires des « temps modernes ».
Qu’on examine aussi les aléas de ce qu’on appelle le processus de « transition démocratique », salué un peu partout comme une « exception du Sud », ce qui est sans doute un peu vrai, on constate alors combien le pays a été, et est encore, au bord des dangers les plus irréparables : le terrorisme, une déchéance économique exceptionnelle, un démantèlement social caractérisé et même, là où on croit avoir quelque peu réussi, les domaines des libertés publiques et de la liberté de presse et d’expression, les dérapages qui se font de plus en plus évidents et souvent avec un cynisme et une arrogance à toute critique.
Est-ce à dire qu’il faille faire marche arrière, même après tous les dégâts consentis au nom de ce que d’aucuns appellent « le prix de la révolution » ? Nullement. Il faudrait juste se réveiller à la plus criante des évidences et la plus importante des priorités, cellent qui préconisent que la démocratie se construit autrement et petit à petit, grâce à une culture générale fondée sur la relativité des vérités individuelles et partisanes, sur l’esprit et le principe de conversation comme unique voie vers les décisions, sur l’instauration de rapports horizontaux dans toutes formes d’interactions.
Il va sans dire que sur ce nouveau chemin de la liberté, la façon de traiter avec les ennemis de cette démarche démocratique pose problème. Comment faire alors avec les ennemis invétérés de tout esprit conversationnel, ceux-là qui n’ont que la violence s’étirant du bout de la langue jusqu’au bout de l’épée ? Il y a là les voies et les mécanismes que toute société civilisée a mis en place pour se protéger des maux incurables : la justice et l’hôpital.
