Syrie, la nouvelle donne


Pr. Khalifa Chater
Lors du déclanchement de la révolte syrienne. Il y avait deux camps principaux : les opposants armés, formés de groupes peu coordonnés, et les soldats de l’armée du régime. Cinq ans plus tard, les belligérants se sont multipliés: groupes de l’Armée syrienne libre, groupuscules islamistes et jihadistes, Daech etc.
Au sol, l’armée syrienne a reçu le renfort du Hezbollah libanais et de combattants iraniens, irakiens et afghans. Dans les airs, les avions et les hélicoptères russes bombardent les positions rebelles. D'autre part, les Kurdes s’allient parfois au régime contre des groupes rebelles et parfois à des combattants sunnites arabes pour attaquer Daech. Soutenus par la coalition occidentale, ils cherchent avant tout à prendre le contrôle des territoires qu’ils revendiquent dans le nord du pays. Les fronts se sont ainsi multipliés en Syrie, mettant à leur merci les populations otages. Or, c'est une loi de la guerre : plus un conflit dur, plus les radicaux prennent l'ascendant sur les modérés.
La Syrie est désormais un terrain d'affrontements, par rebelles interposés. L'actualité atteste un changement de l'attitude du gouvernement turc, depuis le coup d'Etat avorté et la prise de distance de l'alliance occidentale. les Turcs ont mis à l'ordre du jour une nouvelle donne. Esquissant une prise de distance de Daech, ils lui déclarent désormais la guerre. Repositionnement du gouvernement turc, il a lancé mercredi 24 août, sa plus grosse opération militaire en Syrie depuis le début de la guerre. Le président turc a envoyé sur place, une dizaine de chars soutenus par la coalition internationale, reprendre une localité à Daech. Mais l’opération était également dirigée contre le Parti kurde de l’Union démocratique (PYD) dans le nord de la Syrie. Chantage à l‘égard des États-Unis ? Le Président Erdogan a resserré les liens avec l’Iran et s’est réconcilié avec la Russie. Un axe Moscou-Téhéran-Ankara pouvait minimiser l’influence américaine dans la région. Après l'attentat attribué à l'organisation djihadiste, qui a fait 54 morts, dont 22 enfants, samedi 20 août, à Gaziantep, dans le sud du pays, la Turquie promet d'éradiquer Daech (déclaration du ministre turc des affaires étrangères).
Annonce d'une nouvelle orientation, qui serait plus conforme aux rapprochement avec la Russie et l'Iran, la Turquie souhaite être "plus active" sur la crise syrienne dans les six mois pour tenter de faire "cesser le bain de sang", a annoncé samedi 20 août, son Premier ministre. Il n'a pas précisé les contours d'une plus grande intervention d'Ankara qui soutient les rebelles, participe à la coalition menée par les Etats-Unis contre Daech, met à sa disposition la base d'Incirlik (sud) pour les frappes antijihadistes et réclamait le départ du président Bachar el-Assad. "Que nous l'aimions ou pas, Assad est aujourd'hui l'un des acteurs" de la guerre dans ce pays et il est possible de "lui parler pour la transition" déclara le Premier ministre turc.
L'attitude de la Turquie tenait compte vraisemblablement de l'évolution des rapports de forces, en faveur du gouvernement syrien et du recul de Daech, sur le terrain. Peut-on accorder du crédit au diagnostic de l'analyste Gilles Dorronsoro, spécialiste de l'Afghanistan et de la Turquie : " Si les Jihadistes de l'EI perdent leur territoire, dans la zone irako-syrienne, dit-il, ils sont finis" ? (titre de l'article, Le Monde, 6 juin 2016). Résultat d'une stratégie du chao, la guerre risque d'être longue, avec des avancées et des reculs, des transferts de régions et un engagement de "loups solitaires". Mais les Etats-nations sont appelés à gagner l'épreuve, vu le changement d'attitude des acteurs régionaux, qui n'apprécieraient pas la radicalisation de la protestation.



